Edouard Couty, Directeur des hôpitaux - La prise en charge de la douleur 

Numéro 3  - Juin  1998 
 

Edouard Couty, Directeur des Hôpitaux

Edouard Couty, directeur général des hôpitaux universitaires de Strasbourg depuis septembre 1995 et ancien conseiller du ministre de la santé Claude Evin entre 1988 et 1991, a été nommé directeur des hôpitaux au conseil des ministres du 25 mars dernier, sur proposition de Martine Aubry. Selon le secrétaire d’état à la santé, Bernard Kouchner, Edouard Couty symbolise l’évolution de l’hospitalisation publique en France. Ses compétences sont très largement reconnues par ses pairs. Pour Guy Vergnes, directeur général du CHU de Montpellier qui lui succède à la présidence de la conférence des directeurs généraux de CHU, “ son parcours riche et varié le prépare à assumer cette nouvelle responsabilité. Son arrivée contribuera à renouer des liens étroits entre la direction des hôpitaux et l’ensemble du milieu hospitalier “. Sur son nouveau bureau l’attendent des dossiers lourds et sensibles parmi eux : la position des ARH, l’évaluation, l’accréditation, les nouveaux schémas régionaux d’organisation sanitaire....
 

La prise en charge de la douleur

“ ... Nous avons constaté que les mentalités, la formation des professionnels et la réglementation des prescriptions étaient inadéquates, voire dissuasives et que notre système de santé, qui est réputé à l’étranger pour sa qualité et pour ses techniques de pointe, ne prenait pas bien en charge la douleur des patients... Engager une lutte sur tous les fronts...
Nous avons adopté, à l’unanimité, une loi que j’ai proposée afin que tous les établissements de santé inscrivent dans leur projet d’établissement les moyens qu’ils comptent mettre en oeuvre pour améliorer la prise en charge de la douleur. Nous avons dégagé des crédits pour financer des formations sur la douleur. ... les études médicales ont été réformées, le cadre réglementaire de prescription des antalgiques majeurs a été amélioré et le carnet de santé modernisé. 
Il reste beaucoup à faire : il faut que les agences régionales de l’hospitalisation prennent en considération la lutte contre la douleur dans les contrats conclus avec les établissements publics et privés. Il faut aussi que l’ANAES en tienne compte dans les procédures d’accréditation... Le Ministère de la Santé fait de la douleur une grande cause nationale pour 1998 ; nous devons tous nous sentir impliqués et particulièrement vous qui exercez une noble mission au service des malades à l’hôpital public, au sein duquel plus personne ne devrait souffrir inutilement.”   Lucien Neuwirth - Sénateur. C’est sur cet éditorial que s’ouvre le numéro spécial d’Impression, journal interne des hôpitaux universitaires de Strasbourg consacré à la douleur. 
Une volonté institutionnelle de voir disparaître le tabou de la douleur 
Sans attendre la recommandation de Lucien Neuwirth, les HUS avaient inscrit la prise en charge de la douleur à plusieurs reprises dans leur projet d’établissement. Dans le projet médical, elle figure comme un préalable à toute décision d’organisation. Quant aux paramédicaux, ils ont fait de cet objectif le fil conducteur de leurs actions.
Réfléchir ensemble 
Parallèlement au travail mené chaque jour dans les services, médecins et soignants ont été mobilisés durant la deuxième grande rencontre des professionnels de la santé,  “ Synergie 98 “ consacrée au Respect de la personne soignée et à la prise en charge de la douleur qui s’est déroulée le 10 février dernier. Lors de cette journée, les organisateurs ont diffusé les résultats d’une enquête interne lancée en décembre 1997 auprès de 271 infirmières et de 143 aides-soignantes et auxiliaires de puériculture. Son objectif était de mesurer la prise en charge de la douleur au travers des pratiques d’hospitalisation conventionnelle et de semaine. Les résultats nous apprennent que seulement 19% des IDE travaillent dans des services où il existe un protocole ce qui n’exclut pas une prise en charge efficace car 72% des infirmières indiquent que le délai entre la plainte et la mise en route du traitement est inférieur à deux heures. L’intégralité des réponses est disponible au service de communication des HUS au 03.88.11.63.54.
La douleur et l'ambiance dans l'équipe de soins
Dans une équipe, le climat relationnel tendu, trop hiérarchisé engendre rancoeur et frustration et s’avère nocif sur le plan de l’écoute et de la prise en charge. L’indifférence à la douleur renvoie à des tensions internes. Le risque de négligence est grand quand le malade est réduit à la fonction altérée ou à l’organe malade, sa douleur qui ne concerne personne en particulier risque d’être oubliée ou sous-évaluée. “ Impression “ cite deux expériences menées en Grande-Bretagne qui démontrent combien le soulagement efficace de la douleur dépend d’une médecine de la personne. C’est aussi ce que nous enseignent les équipes de 8 services différents HUS  : chirurgie, pédiatrie, pneumologie, psychiatrie, oncologie et gynécologie obstétrique à travers le témoignage de leur pratique quotidienne relaté dans le journal interne.
Les moyens de lutter 
Deux unités fonctionnelles, l’une à l’hôpital de Hautepierre dirigée par le Dr Laugner, dans les locaux du service de Neurochirurgie, l’autre à l’hôpital Civil sous la direction du Dr Muller, implantée dans les locaux du service d’Oncologie, traitent les patients douloureux chroniques hospitalisés aux HUS ainsi que les patients adressés par les généralistes du grand Est. La palette thérapeutique est large : médicaments, blocs anesthésiques, blocs neurolytiques, stimulation électrique, administration périmédullaire d’antalgiques, neurochirurgie, rééducation, prise en charge psychologique, prise en compte des problèmes sociaux, soins de confort, massages, relaxation. Aux progrès de la pharmacologie, de la neurochimie s’ajoute l’avancée des méthodes d’administration des médicaments. Pompes et systèmes miniatures implantés sous la peau permettent d’utiliser des doses très inférieures aux posologies par voie générale, minimisant ainsi les effets secondaires. Grâce à ces nouvelles techniques le patient peut contrôler sa douleur et déclencher son traitement.
Les projets 
Malgré ces évolutions, seuls 50% des patients douloureux chroniques tirent un bénéfice antalgique de la prise en charge. En effet, l’absence d’unité de lieu et la pénurie de personnel médical et paramédical spécifiquement dévolu à cette tâche rendent difficiles l’évaluation et le suivi des patients. C’est pourquoi les HUS envisagent de créer un centre d’évaluation et de traitement de la douleur rassemblant les services les plus concernés. Des comités de lutte contre la douleur sont aussi prévus. Enfin une réflexion est en cours sur les problèmes de nomenclature des actes et de codage des syndromes douloureux.

Les professionnels ont la parole
La dignité est un rapport social
Il n’y a pas d’état indigne, surtout s’agissant de malades ou de mourants, il y a surtout des regards indignés, des regards qui jugent et disent le mépris ou l’indifférence. 
David Le Breton, sociologue, Professeur à l’Université des Sciences Humaines de Strasbourg II.
Pourquoi la souffrance qui nous assaille périodiquement nous interroge-t-elle de façon lancinante sur le sens de la vie ?  Probablement parce qu’elle est le clignotant de la mort. 
Dr Jean-Marie  Mantz,  Professeur émérite, Doyen honoraire de la faculté de médecine de Strasbourg