Le risque anesthésique
Une enquête INSERM, réalisée en France en 1980 recensait 1 décès pour 20 000 anesthésies, risque augmenté à 1/8000 si on y rajoutait les comas post anesthésiques.
Ce risque, faible dans l’absolu, est bien plus élevé que les risques aéronautique (1/8 millions de passagers) et industriel (chimique, nucléaire) de 1/1 million de personnes exposées, risques qui sont cependant bien plus perceptibles et spectaculaires car touchant chaque fois un grand nombre d’individus.
Le risque anesthésique est, de plus, entouré d’une connotation individuelle :
La probabilité pour qu’un médecin anesthésiste exerçant pendant 30 ans soit impliqué dans un décès anesthésique est de 70%, toutes gravités de malades confondues. Les implications médico-légales sont potentiellement considérables.
Une autre enquête, réalisée en 1997 par l’INSERM et la Société Française d’Anesthésie (SFAR) montre qu’en 20 ans, on était passé en France de 3 millions à 8 millions d’actes anesthésiques pratiqués par an et qu’aujourd’hui, même si beaucoup d’anesthésies concernent des gestes bénins, le risque est accru en raison du plus grand âge et de la plus grande gravité des patients.
Depuis près d’une dizaine d’années la SFAR et le Ministère, par le biais de recommandations, de circulaires, et de décrets ont pris des mesures très efficaces en faveur de la sécurité anesthésique.
Ces efforts sont à poursuivre : notre culture médicale est encore trop centrée sur les innovations, technologiques en particulier, et pas assez sur la sécurisation. De plus, on doit moins aujourd’hui réfléchir en terme de faute individuelle que de dysfonctionnements collectifs ou organisationnels : la plupart du temps les erreurs anesthésiques ne sont pas les causes mais les conséquences d’une mauvaise organisation ou de la mauvaise articulation d’une équipe.
Il y a aujourd’hui 3 niveaux d’amélioration possibles :
1- l’organisation du travail
1- la culture sécuritaire
1- la gestion de la formation et de l’information
Améliorer la qualité et la sécurité de l’anesthésie et de la réanimation
Comment diminuer le risque anesthésique ?
Tout d’abord par une meilleure organisation du travail et des sites opératoires (Pr J. Marty – Hôpital de Beaujon – Paris) : les contraintes démographiques (médecins anesthésistes et infirmières) et budgétaires nous l’imposent :
– formation des personnels qui, seule, peut améliorer leur potentiel de réponse à une situation critique au Bloc opératoire
– protocolisation des actes les plus courants
– planification des plages horaires opératoires et des programmes avec tous les acteurs concernés
– regroupement des sites et des moyens humains et techniques
– mise en place de Conseils de Bloc Opératoire veillant à l’observance de chartes de fonctionnement.
La diminution du risque anesthésique passe également par la mise en place de structures d’anesthésiovigilance intégrées dans la coordination générale des vigilances des établissements.
Il s’agit d’un système d’alerte continu qui recense les incidents et accidents, en analyse les causes, et fait adopter des mesures correctrices immédiates et préventives. En 18 mois, au CHU de Nice, une telle structure a recensé 340 alertes dont 70 % d’origine organisationnelle. Si aucune n’a entraîné d’incident grave pour le malade, la plupart ont pu être suivies de mesures correctrices immédiates ou secondaires, afin que l’incident ne se reproduise pas (circuits de secours électriques ou d’oxygène, standardisation des seringues, rigueur dans les plannings des personnels, amélioration du transport des produits sanguins?)
L’accréditation des établissements de soins publics et privés est une démarche imposée par la loi et relayée par l’ANAES depuis 1996.
A Nice, le CHU a été le deuxième en France à s’y soumettre et à l’obtenir avec recommandations. La Clinique St George l’a également obtenue avec beaucoup d’efficacité. Dans un cas comme dans l’autre, la période de préparation avec audits internes et démarche qualité/sécurité a été déterminante.
Les anesthésistes réanimateurs en raison de leur vision transversale et de leur moindre cloisonnement professionnel en ont été le plus souvent les principaux acteurs.
Malheureusement, qui dit situations à risques, pressions sécuritaires, coordination de réseaux multiprofessionnels, dit haut niveau de stress et métier à risques. L’anesthésie réanimation, en situation de pénurie démographique actuelle, est une profession médicale à haut degré de pénibilité, encline aux addictions, où les suicides sont plus fréquents (les femmes, les jeunes), où la mortalité par maladies cardio-vasculaires est plus élevée et où le syndrome d’épuisement professionnel ( » Burn out « ) est régulièrement décrit.
La réanimation, en particulier péri-opératoire, s’intègre naturellement dans cette problématique d’organisation, de gestion des risques et de recherche permanente de la qualité et de la sécurité. Un décret portant sur l’organisation des services de Réanimation, de soins intensifs et de surveillance continue est en préparation depuis 2 ans au Ministère avec l’aide des professionnels et doit sortir dans les mois prochains.
Très contraignant, (normes architecturales, d’équipements humains et techniques, de fonctionnement?) il impose des normes qualité/sécurité essentielles à l’amélioration des soins.
Très restructurant, il va conduire à des regroupements d’unités, des mises en commun de moyens, mais aussi à des fermetures de services, en particulier dans certains petits établissements n’ayant pas la masse critique suffisante ce qui, comme pour les maternités, ne va se faire sans poser des problèmes politiques locaux parfois difficiles.
Optimisation de l’organisation des blocs opératoires, gestion continue des incidents et des risques d’accidents anesthésiques, développement de notre culture sécuritaire et de la qualité des soins en anesthésie comme en réanimation, démarches volontaires d’accréditation des établissements (et bientôt des services), diminution du risque professionnel? Tous ces aphorismes, très pragmatiques, n’ont qu’un objectif : continuer à améliorer le niveau des soins donnés aux patients, alors qu’en même temps, augmentent les contraintes humaines, technologiques et budgétaires.