Chirurgie de la transidentité : à l’heure du premier rendez-vous

DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU
DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU
A l’occasion d’un déplacement au CHU de Limoges, Réseau CHU a rencontré le Dr Xavier Plainard. Depuis 2019, ce chirurgien urologue reçoit et opère des personnes qui suivent un parcours de transition sexuelle. Cet article revient sur trois premiers rendez-vous, soit autant d’histoires de vie en passe de définitivement basculer.

D’un pas timide, la patiente s’avance. Derrière ses lunettes, elle jette des coups d’œil furtifs aux objets qui ornent le cabinet. Une série de journaux d’urologie des années 60 tranchent avec des livres de médecine sexuelle aux couvertures vives. Posés non loin, quelques ouvrages et figurines de l’univers Star Wars renvoient cette décoration inattendue à un véritable petit hôtel de la « pop culture ». Jupe noire et pull blanc, Lara fixe désormais son occupant permanent. Le Dr Xavier Plainard travaille depuis une vingtaine d’années au CHU de Limoges. En avril 2019, il s’est lancé dans la chirurgie de la transidentité. « C’est un sujet qui m’avait toujours intéressé », raconte celui qui s’est formé auprès du médecin lyonnais Nicolas Morel Journel, pionnier de cette chirurgie en France. Et c’est précisément dans cette optique que Lara a pris rendez-vous, malgré les trois heures de route qui séparent Toulouse de Limoges.

Il y a deux ans, Lara a démarré un « parcours » pour changer de corps. Au moment où elle prend cette décision, elle habite celui d’un homme depuis soixante ans. Presque un siècle à l’entendre évoquer son existence et cette enveloppe qu’elle a dû si longtemps occuper. Lara raconte qu’à dix ans, elle avait déjà le sentiment d’être « comme une fille jouant dans la cour des garçons. ». L’intuition se transformera en conviction quelques années plus tard, à la lecture d’un roman relatant le parcours d’un jeune transsexuel anglais. La vie de Lara suivra un autre chemin que le personnage du bouquin. Dans les années 70, changer de sexe n’est pas une option. Plutôt une tare ou une maladie à guérir. Mais ni les rendez-vous chez le « psy » ni quinze années de psychanalyse n’y changeront rien. « Cela ne servait à rien de me guérir car je n’étais pas malade. », lance Lara, les mains jointes, l’évidence dans la voix.

DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU
DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU

Près de deux ans d’attente pour une vaginoplastie

Retour en août 2020. Si son désir secret de changer de peau n’en n’est pas vraiment un (les vêtements de femme revêtus à la maison parlant depuis longtemps pour elle), Lara a attendu que ses deux enfants soient adultes et indépendants pour passer le cap. Sous œstrogènes, elle se souvient avoir rapidement ressenti, dès les premières manifestations intimes du traitement, « une grande sérénité et une légitimité nouvelle.» Aujourd’hui, envoyée par un médecin généraliste spécialisé dans les cas « trans », elle souhaite achever ce qu’elle a commencé. En changeant de sexe par la chirurgie.

A l’aide d’un modèle de verge en plastique, le Dr Plainard explique le déroulement d’une vaginoplastie complète – qui consiste à créer un appareil génital féminin fonctionnel -, non sans risque pour des patientes de l’âge de Lara. « Il faut savoir que plus on vieillit, plus on s’expose à des risques de complications en post-opératoire. On pose alors la question : est-ce qu’on ne ferait pas juste une vulvoplastie ? », prévient-il d’un timbre égal et posé. La réponse de la patiente ne se fait pas attendre : « Si je ne le fais pas, je sais que je ne me sentirai pas complète. » La fin de la séance approche, et le chirurgien urologue explique qu’un accord tripartite avec un endocrinologue et un psychiatre reste un préalable à l’intervention, qui pourra avoir lieu dans deux ans. Un délai plutôt long qui pousse d’autres patientes à déposer des dossiers au Canada, où à se faire opérer dans des pays comme la Thaïlande ou la Belgique. Plus rapide, mais plus cher aussi.

DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU
DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU

« J’ai caché et, à force, j’ai explosé »

Emeline quitte la salle d’attente pour s’installer à son tour dans le bureau blanc. Venue de Narbonne, elle non plus n’a pas compté les kilomètres. Il faut dire que les établissements qui proposent une chirurgie de la transidentité ne sont pas légion (les CHU de Limoges, Lyon Sud, Bordeaux, Lille, Rennes, l’hôpital Foch et Tenon à Paris la pratiquent). Le Dr Plainard griffonne quelques notes sur son carnet : âge (28 ans), date de début du parcours (janvier 2021), rapide historique. Le tragique a accompagné celui d’Emeline, dont les parents ont péri dans un accident de voiture lorsqu’elle était enfant. Les souvenirs affluent, désordonnés, souvent parés d’une normalité difficile à supporter. « J’ai beaucoup caché. Je me cachais derrière des vêtements masculins, je faisais croire à ma famille d’accueil que j’avais une copine. J’ai caché et, à force, j’ai explosé. » Le chirurgien urologue, une nouvelle fois, explique les temps opératoires, la technique chirurgicale (notamment l’utilisation de certains tissus de la verge pour reconstruire un sexe féminin), ses potentielles complications, avant de faire défiler des images d’organes sur son ordinateur, résultats d’opérations précédentes. Emeline, qui a atterri à 28 ans dans son cabinet grâce à une association d’aide de Perpignan, repartira confiante après une inscription au secrétariat.

Plus d’une centaine de personnes opérées en trois ans

Il est presque 16h10. La troisième patiente que nous croisons, Jeanne, écoute depuis quelques minutes le Dr Plainard. A ses côtés, son compagnon, la trentaine entamée lui aussi. Comme dans la plupart des cas, le couple est bien renseigné sur la vaginoplastie. Démarré en 2019, le parcours de Jeanne est jalonné de plusieurs interventions qui ont acté la fin de plusieurs « années de déni » : chirurgie de la poitrine, mentoplastie (ou génioplastie), toutes effectuées à Marseille. Les photos de sexes de patientes déjà opérées – plus d’une centaine en trois ans – finissent de convaincre le couple, qui préfèrera Limoges à Montréal, malgré le délai d’attente inhérent.

DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU
DR : Adrien Morcuende • Réseau CHU

En attendant ce jour, il sera accompagné par Joël Juis, infirmier sexothérapeute au sein du service chirugie urologique et andrologie. « Moi je couvre toute la partie chirurgicale, organique. Lui, c’est tout ce qui relève de la fonctionnalité, le suivi des patientes. C’est un peu la clé de voûte dans cette prise en charge car il va les suivre avant l’intervention mais aussi après, dans la découverte de ce nouveau corps, de la pénétration, des sensations et de l’impact que ça a dans la vie de la patiente en général. », poursuit le Dr Plainard. Quelques réponses à nos questions plus tard, ce dernier doit filer en chambre pour voir une patiente opérée deux jours auparavant. Aujourd’hui, ce sont près de cent cinquante personnes attendent d’être prises en charge au CHU de Limoges.

Adrien Morcuende

Pour des raisons en lien avec le secret médical, les prénoms ont été changés.

Commentaires

Il n’y a pas encore de commentaire pour cet article.

Sur le même sujet

Dossier : L’obésité

Elle concerne 17% des adultes en France, a des origines multiples et peut entraîner de nombreuses complications – cardiovasculaires, hépatiques, rénales, respiratoires, dermatologiques, cancers, diabète – : cette maladie, c’est l’obésité. Alors que la journée mondiale le l’obésité a eu lieu le le 4 mars, la rédaction a souhaité lui consacrer un dossier.

CHU de la Réunion, se préparer au cyclone

Au cours de la nuit du 20 au 21 février dernier, l’île de la Réunion a évité le choc qu’aurait pu causer le cyclone baptisé Freddy, finalement passé à environ 190 km de ses côtes. Face à l’alerte orange, le CHU de la Réunion a lancé son plan cyclone pour anticiper les conséquences d’une potentielle catastrophe. Retour sur les mesures mises en place.

MARADJA, une décennie à accompagner les jeunes atteints de cancers

En France, environ neuf cent adolescents (15-18 ans) et mille quatre cent jeunes adultes (18-25 ans) sont touchés chaque année par le cancer. Au CHU de Bordeaux, un lieu particulier leur est destiné, MARADJA (Maison Aquitaine Ressources pour Adolescents et Jeunes Adultes), qui fête ses dix ans. Nous y avons rencontré Lucile Auguin, traitée à vingt-trois ans pour une leucémie aiguë.

Lactarium Raymond Fourcade, la page se tourne à Bordeaux

Le 5 décembre dernier, sur le site de l’hôpital Haut-Lévêque (Pessac), était posée la première pierre du futur Lactarium Raymond Fourcade. Le projet qui sera livré l’an prochain, 1200 m2 de bâti neuf doté d’équipements dernier cri, doit venir “conforter la place du CHU de Bordeaux comme le plus important lactarium au niveau national” ; et prendre le relais de l’actuel site de production basé à Marmande (Lot-et-Garonne), en fonctionnement depuis près d’un demi-siècle et que le CHU avait acquis en 2012.