Dans le cadre de la crise sanitaire associée à la pandémie de COVD-19, le chef d’établissement peut-il être habilité à encadrer certains droits syndicaux ? Eclairage de Maître Guillaume Champenois, avocat associé au sein du cabinet Houdart & Associés.
Comme le prévoit l’article L.6143-7 du Code de la santé publique, le Directeur d’hôpital «a autorité sur l’ensemble» du personnel de l’établissement. Il dispose à ce titre d’un pouvoir disciplinaire mais également de police administrative. Si l’hôpital applique la 4ème partie du Code du travail et que le droit syndical est un droit constitutionnel, la continuité du service public présente également une valeur constitutionnelle.
Bien qu’aucun texte ne le précise à la date du présent article, la lutte contre la propagation du virus au sein des équipes soignantes et des personnels essentiels au fonctionnement des établissements peut, sous certaines conditions, conduire le chef d’établissement à restreindre et limiter temporairement la convocation et la réunion physique des instances représentatives du personnel.
Une telle décision doit impérativement être motivée et répondre aux impératifs suivants:
– Un impératif absolu à ce que le virus ne se propage pas parmi les personnels de l’établissement et plus spécifiquement les personnels soignants
– Une suspension des réunions physiques qui n’est opérée que pour la durée strictement nécessaire à la lutte contre l’absence de propagation du virus Covid-19 parmi les personnels de l’établissement
– La mise en place de tout dispositif permettant de palier ou remplacer l’absence de réunion physique (réunions en visioconférence, en conférence téléphonique)
– La réunion physique de l’instance doit néanmoins pouvoir se tenir que si et seulement si il n’est pas possible de faire autrement et que ladite réunion présente un caractère urgent et réellement nécessaire.
En cas de contentieux, la charge de la preuve de la nécessaire limitation des réunions physiques incombe au directeur et non aux organisations syndicales.
Dans les faits, plusieurs établissements ont suspendu les réunions physiques du CHSCT et du CTE de manière temporaire basculant en réunion par visio-conférence. D’autres établissements ont suspendu temporairement le processus de consultation du CHSCT pour instaurer un schéma ou processus de simple information. Cette suspension temporaire du processus de consultation avait pour objectif de permettre d’adapter l’organisation des services pour l’accueil de patients. Il y avait dans certains établissements une urgence absolue à s’adapter aux circonstances (modification des plannings, modification des équipes, etc…) et cette urgence absolue n’était pas compatible avec un processus de consultation du CHSCT et du CTE qui requiert un minimum de temps. Une fois ces organisations calées, rien ne fait obstacle à ce que ces institutions représentatives du personnel retrouvent un fonctionnement normal, c’est même hautement recommandé.
Le droit de limiter ou encadrer la libre circulation des représentants syndicaux
Tout autant, le chef d’établissement peut limiter et ou encadrer la libre circulation des représentants des personnels investis d’un mandat syndical ou membres du CHSCT par les mêmes impératifs de lutte contre la contamination des personnels soignants mais également par la nécessaire préservation de l’état de santé du personnel investi d’un mandat syndical.
Pour rappel, pèse sur l’employeur une obligation de sécurité en matière de santé au travail et il appert que si la libre circulation dans les services d’agents investis d’un mandat syndical peut participer à mettre en danger lesdits agents en les exposant à un risque de contamination ou à l’inverse à exposer les personnes rencontrées à un risque de contamination, la mesure de police administrative ayant pour objet de restreindre cette liberté nous apparait parfaitement fondée en droit. Cette limitation ordonnée par le chef d’établissement ne doit pas être absolue mais encadrée et strictement limitée dans le temps ainsi que parfaitement motivée, en fait comme en droit.
La mesure ayant pour objet d’encadrer ou restreindre le droit syndical, telle que la libre circulation des représentants syndicaux et des membres du CHSCT, doit être strictement proportionnée à l’objectif poursuivi, limitée dans le temps, et uniquement motivée par l’impérieuse nécessité de préserver la santé des personnels et la continuité du service public hospitalier. Cet encadrement doit être une véritable exception et l’appréciation doit se faire in concreto, en fonction des réelles contraintes auxquelles l’établissement est confronté. L’analyse sera nécessairement différente entre un établissement totalement submergé par l’accueil de patients contaminés par le covid-19 et un établissement relativement épargné.
Deux options possibles : suspendre ou encadrer la liberté de circulation
Deux options se présentent au chef d’établissement, une invitation faite aux organisations syndicales de mettre en suspend l’exercice de cette liberté de circulation ou imposer un encadrement de cette liberté par une décision administrative. La première option est préférable et la deuxième option est possible si elle est motivée conformément aux prescriptions formulées ci-dessus. Il est ici fortement conseillé de faire rédiger une telle décision par un juriste.
Les éventuelles limitations faites à la tenue de réunions des institutions représentatives du personnel (CHSCT et CTE) et à la libre circulation des représentants du personnel et membres du CHSCT ne peuvent s’envisager qu’en dernier recours lorsque l’établissement est dans une situation critique.
La crise sanitaire ne saurait en tant que telle constituer un prétexte à la limitation des droits syndicaux.
Enfin, de telles mesures se justifient beaucoup plus difficilement si l’établissement est en mesure de fournir aux membres des organisations syndicales les matériels de protection en nombre et en qualité suffisante (charlotte, veste jetable, gants, masques, etc…) pour leur permettre de continuer à remplir leurs missions découlant de leur mandat.
En conclusion, l’encadrement de certains droits syndicaux est possible sous des conditions très strictes et nécessairement pour une durée limitée dans le temps. Un tel encadrement n’est rendu possible que parce que les établissements publics de santé ont la charge du service public hospitalier et que celui-ci ne saurait souffrir d’une quelconque interruption dans l’intérêt des populations prises en charges. Précisons que cet article ne vaut pas jugement et que cette analyse juridique est nécessairement soumise à la libre appréciation du juge du fond.
Maître Guillaume Champenois, avocat associé au sein du cabinet Houdart & Associés