Crise du COVID-19 : le rapport accablant de la Commission d’enquête du Sénat

Le 10 décembre, Catherine Deroche, Bernard Jomier et Sylvie Vermeillet ont présenté les conclusions de la commission d'enquête sénatoriale pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion. Regrettant l’impréparation de la crise sanitaire, l’insuffisance de masques au début de l’année 2020 et de multiples problèmes de gouvernance, ils appellent à un nouveau départ, une «année zéro» de la santé publique, nécessitant une réforme des structures.

Le 10 décembre, Catherine Deroche, Bernard Jomier et Sylvie Vermeillet ont présenté les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion. Regrettant l’impréparation de la crise sanitaire, l’insuffisance de masques au début de l’année 2020 et de multiples problèmes de gouvernance, ils appellent à un nouveau départ, une «année zéro» de la santé publique, nécessitant une réforme des structures.
« Si le stock de masques avait été plus important qu’il n’était au début de l’année 2020, la pandémie aurait évolué très différemment», a souligné d’emblée la sénatrice Catherine Deroche. Le manque d’équipements de protection individuelle restera de fait l’un des événements marquants de la pandémie. Et les rapporteurs de noter: «Au 15 juin, 3,9 milliards de masques ont été commandés (dont 2,7 milliards en Chine), pour un coût total de 2,8 milliards d’euros. La livraison de ces commandes a parfois été retardée du fait de changements de la règlementation chinoise, de contrôles de qualité négatifs, de retards de production ou encore de surenchère de la part d’autres acheteurs. L’absence d’anticipation de l’État l’a en outre conduit à payer ces masques à un tarif exorbitant en comparaison des prix pratiqués « en temps de paix». Si le choix avait été fait en octobre 2018 de reconstituer les stocks de masques chirurgicaux à hauteur d’un milliard d’unités, le coût budgétaire aurait été de 27 millions d’euros, contre 450 millions d’euros durant la crise».

Hospitalo-centrisme

Bernard Jomier a également expliqué que si notre système de soins est reconnu dans le monde entier, notre système de santé publique est «encore très balbutiant en lien avec un hospitalo-centrisme excessif qui a entraîné une mise à l’écart des professionnels de ville et ambulatoires, un fait particulièrement délétère pendant la crise». L’inattention portée au secteur médico-social dix-sept ans après la canule de 2003 fait également l’objet de longs développements. «Une fois encore, les populations les plus vulnérables n’ont pas obtenu les réponses qu’elles étaient en droit d’obtenir», a déploré le sénateur
La Commission d’enquête a également noté que malgré sa fragilisation, l’hôpital s’est montré "résilient" démontrant ainsi sa capacité à dépasser les contraintes administratives et budgétaires.

La gouvernance en question

Le «retard à l’allumage» entre les mises en garde d’Agnès Buzyn sur l’arrivée de la pandémie et les réponses de l’appareil d’Etat donne lieu à plusieurs propositions de la Commission d’enquête sénatoriale. «Le gouvernement a choisi de multiplier les instances ad hoc à la légitimité fragile, ce qui a compromis à la fois la qualité de la réponse et le lien de confiance avec les Français qui ont eu du mal à comprendre comment la crise était gérée, a poursuivi Bernard Jomier. Par ailleurs, les instances de démocratie sanitaire ont été écartées : la conférence nationale de la santé (CNS) ou encore les conseils territoriaux de santé n’ont jamais été écoutés».
Face à cette défiance, la Commission propose de créer «une instance nationale indépendante pour conseiller le gouvernement et les responsables politiques en cas d’événement nécessitant une expertise scientifique» et aussi de nommer un délégué interministériel afin d’introduire davantage d’horizontalité et de transversalité dans la gestion d’une crise comme celle que nous connaissons.
La Commission a également relevé que l’agence nationale de santé publique n’avait pas rempli son rôle de façon efficace, faute de moyens. «La création des nouvelles régions a éloigné les ARS du terrain. Nous préconisons donc que l’échelon départemental des ARS soit renforcé, a ajouté Bernard Jomier. Enfin, face à une telle crise, les acteurs la démocratie sanitaire auraient dû être mobilisés dès le premier jour. La CNS doit impérativement animer un travail citoyen en temps de crise. Tout ne peut pas reposer sur les décision d’un chef de l’Etat qui s’appuie sur un Conseil de défense dont les travaux ne sont pas publics», a t-il conclu.

Quel a été le rôle des GHT pendant la pandémie ?

Pour Catherine Deroche: «Les GHT ont été chargés de la gestion et de la distribution des équipements de protection individuels sur les territoires. Ce qui a d’ailleurs suscité l’incompréhension de la FHP puisque les GHT sont publics. Nous avons également noté de belles coopérations entre public et privé malgré un retard à l’allumage. Malheureusement, le secteur médico-social a été le grand oublié de la crise».

Les principales préconisations

Sécuriser la gestion des stocks stratégiques
1. Prévoir la constitution au plus près des besoins de stocks « de crise » de masques chirurgicaux et FFP2 et se doter des moyens de contrôler et d’en suivre le niveau :
– définir, entre chaque ARS et les établissements de santé et médico-sociaux, en fonction des caractéristiques de leur activité, le stock que ces derniers doivent détenir et en établir un recensement régulier et précis ;
– intégrer la constitution de stocks de masques chirurgicaux et le contrôle de leur qualité par les professionnels de santé libéraux parmi les critères de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) ;
– encourager l’acquisition par chaque ménage d’une boîte de 50 masques chirurgicaux pris en charge par l’Assurance maladie.
2. Soumettre chaque programmation pluriannuelle des stocks stratégiques à la validation du ministre chargé de la santé.
Garantir la continuité des soins en temps de crise
3. Pour éviter les déprogrammations, structurer des filières de prise en charge à l’échelle régionale ou inter-régionale afin de garantir la continuité des soins notamment dans des pathologies lourdes.
Sécuriser la prise en charge des personnes vulnérables
4. Renforcer les outils de gestion des risques en établissements médico-sociaux :
– rappeler que le plan bleu a bien vocation à les préparer à toute situation sanitaire exceptionnelle, non aux seules canicules ;
– systématiser l’élaboration des plans de continuité d’activité et intégrer plus systématiquement les EHPAD ainsi que les autres ESMS aux exercices annuels organisés sur la gestion des risques ;
5. Augmenter la couverture des Ehpad en médecin coordonnateur et donner à celui-ci un rôle plus affirmé de chef d’orchestre des prises en charge externes. 
Garantir l’adéquation des capacités de la politique de dépistage aux besoins de la crise
6. Se mettre en capacité d’activer, en phase épidémique, des plateformes territoriales de tests associant l’ensemble des acteurs (laboratoires de biologie publics et privés, laboratoires de recherche ou vétérinaires), en mutualisant les capacités d’analyse à l’échelon régional.
Renforcer la coordination en matière de recherche scientifique
7. En période de crise, flécher les financements exceptionnels alloués à la recherche sur de grands essais prioritaires et multicentriques afin de mieux coordonner les travaux de recherche.
Renforcer la cohérence de l’expertise scientifique et l’ouvrir sur la société
8. Impliquer les associations de patients ainsi que les instances de démocratie sanitaire, au niveau national comme territorial ainsi que dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, dans les décisions impactant l’organisation des soins en période de crise ainsi que dans l’élaboration des retours d’expériences sur la gestion de l’épidémie ;
9. Créer une instance nationale d’expertise scientifique unique sur la sécurité sanitaire chargée de conseiller les pouvoirs publics dans la gestion de l’ensemble des crises ayant un impact sur la santé et de mobiliser et coordonner les sources d’expertise existantes, en garantissant l’indépendance et la transparence de ses travaux.
Renforcer le pilotage interministériel dans la préparation et la réponse aux urgences sanitaires
10. Créer une fonction de délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus), placé auprès du Premier ministre et chargé de coordonner une réflexion et une vigilance interministérielles permanentes sur l’état de préparation du pays aux crises sanitaires et d’en rendre compte tous les ans au Parlement ;
11.Élaborer, sous la responsabilité du Diprus, un plan de mobilisation face à un risque pandémique et comprenant un schéma de gouvernance de crise, une boîte à outils de mesures sanitaires et non sanitaires et un volet capacitaire et logistique.
Définir les contours d’une gouvernance territoriale au plus près des réalités du terrain
12. Garantir un pouvoir de décision réel aux collectivités territoriales, en particulier au conseil régional, dans la détermination de l’offre de soins régionale.
Hélène Delmotte

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