Sur les 2 800 directeurs d’hôpital en activité, seuls 31 sont directeurs généraux d’un CHRU et sur ces 31 happy few, un seul en France peut se prévaloir d’avoir dirigé 6 CHRU : Daniel Moinard. En novembre sa carrière incroyablement bien remplie prendra fin. Avant cette échéance, l’actuel directeur général du 2ème CHU de France accorde une interview à RESEAU CHU où il expose ses réflexions sur l’hôpital public au soir d’une vie consacrée à la gestion et à l’organisation des soins.
Vous avez été nommé directeur général des CHU de Poitiers (92-98), de Toulouse (98-07) et enfin des Hospices Civils de Lyon (11-12). Entre Toulouse et Lyon, à la demande du Ministère vous avez dirigé par intérim Nantes en 2008, Caen en 2009 et Montpellier en 2010, quand ces établissements étaient en grande souffrance. On vous a même baptisé le pompier des CHU. Lors de vos missions, sur quelles forces, quelles valeurs vous êtes-vous appuyé pour relancer ces énormes mécaniques ?
Daniel Moinard – Pour Nantes, Caen et Montpellier, j’arrivais après le départ précipité du directeur général. Dans deux situations, il y avait eu rupture du contrat de confiance entre le chef de l’établissement, son équipe de direction et la communauté médicale. Mon statut d’intérimaire me donnait un avantage. J’étais attendu, je devais engager des réformes cruciales dans un laps de temps limité et je disposais d’une réelle liberté d’action. Il me fallait comprendre très vite pourquoi le CHU se retrouvait confronté à de telles difficultés, auditionner les représentants institutionnels, les présidents de CME, les doyens, les cadres. Puis recoller les morceaux, redonner confiance à une équipe de direction déstabilisée. Seul je ne pouvais rien, j’avais besoin de leur concours, de leurs propositions pour redresser l’institution, de leurs relais pour faire passer les messages. Avant tout je me devais de rétablir la confiance en mettant à plat la situation et en adoptant le langage de vérité. Je me souviens d’assemblées générales de médecins dans des d’amphithéâtres pleins. Lors de ces grands rendez-vous, les choses doivent être dites clairement, sans langue de bois. Il faut prendre les décisions, même difficiles (par exemple, un déficit important impose un plan de redressement avec des mesures souvent fortes) mais il faut aussi donner des perspectives et de l’espoir. Le Directeur Général ne mobilise pas sur une réduction de déficit mais sur un projet réaliste et négocié qui s’appuiera sur une autodiscipline interne, seul moyen d’atteindre le retour à l’équilibre ; C’est ce message responsable, de confiance dans l’avenir que j’ai voulu incarner dans chacune de mes missions.
Vous avez affirmé à plusieurs reprises votre attachement au secteur public de la santé, comment concilier ces valeurs et la pression financière qui pèse sur les hôpitaux ?
DM – Le public n’a pas vocation à être déficitaire, il ne peut dépenser plus que la nation lui donne. L’argent public est précieux, sa limite est donnée par la capacité contributive des citoyens. Et l’hôpital n’est pas déconnecté des contraintes extérieures, la crise le frappe et le contraint à faire sienne la culture de la performance – au sens de l’OMS c’est-à-dire qui allie qualité et la sécurité des soins, qualité des organisations et gestion économe des ressources. Pour moi, bien gérer la ressource publique relève d’un comportement éthique.
A Lyon par exemple, poursuivant la trajectoire de redressement initiée par Paul Castel, j’ai recherché toutes les possibilités d’efficience, ce qui a permis de réduire le déficit de 94 millions d’euros 2008 à moins de 15 millions en 2012. Avec le soutien de l’ANAP nous avons revu les organisations comme les blocs : moins de salles plus d’interventions et une occupation encore optimisée par l’ambulatoire. Nous avons aussi repensé les filières de soins (cardiologie, gériatrie, chirurgie), regroupé des activités dispensées sur plusieurs sites, réorganisé la biologie, la logistique, la stérilisation. Des restructurations et des négociations menées jusqu’au bout.
Et que dire de la relation avec les médecins ?
DM – Dans tous les hôpitaux sauf un, j’ai eu la chance d’avoir des présidents de CME et des doyens aidants
Je compare souvent le directeur d’hôpital à un chef d’orchestre ; l’hôpital n’est pas une entité où un cadre supérieur obéit à une ligne hiérarchique verticale le doigt sur la couture du pantalon. Les médecins vous obligent à adopter une culture du compromis. Avec pédagogie, le chef d’établissement doit convaincre, expliquer les sens de son action. Un projet médical ne s’impose pas, il se met en œuvre avec l’aval de la Commission Médicale d’Etablissement. Et votre succès, c’est-à-dire la réussite du projet d’établissement dépend de l’adhésion qu’il suscite. La partition jouée sera d’autant plus harmonieuse que les musiciens se seront écouté et auront travaillé ensemble. Ce qui suppose un mariage entre la culture médicale et managériale qui passe par un renforcement de la médicalisation de certaines directions comme la stratégie, de la qualité et des usagers par exemple ou la création d’un binôme chef de pôle d’activité médicale-directeur référent dans les pôles à l’instar de ce que j’ai mis en place à Lyon… Même si ce n’est pas stipulé dans les textes, en pratique, les directeurs et médecins assurent un co-pilotage et plus la situation est difficile, plus le co-pilotage doit être renforcé.
Selon vous quelles sont les constantes et les variantes de la fonction de directeur d’hôpital ?
DM – Le directeur doit faire preuve de respect des autres, d’écoute. Des valeurs humaines complétées par une autorité managériale de décisionnaire, de stratège et d’animateur d’équipes – sur ce point, il ne doit plus choisir ses collaborateurs parmi le seul corps des directeurs mais aussi parmi des professionnels ayant des compétences métiers très ciblées comme les contrôleurs de gestion, les directeurs des achats, les ingénieurs pour les directions de travaux…
A l’heure où il est question de pacte de confiance, ce que je redoute le plus n’est pas le manque de dialogue mais de cohésion et d’unité, je crains le pouvoir des lobbies et le risque de transformation des instances en assemblées corporatistes. L’hôpital n’est pas une maison facile à gérer, on se concerte, on passe beaucoup de temps en réunions, à définir puis à expliquer les stratégies ; On a besoin de réactivité, pas d’aggraver les pesanteurs avec des visions trop étroites. Je crains aussi les bureaucraties tentaculaires des nouvelles organisations régionales, trop éloignées du terrain. A l’heure où l’hôpital doit s’adapter rapidement, nous avons besoin de souplesse et de partenaires réactifs.
Le directeur doit aussi composer avec les élus…
DM – Le politique est très présent à l’hôpital et le directeur général doit faire preuve d’une double loyauté vis-à-vis des pouvoirs publics qui le nomment et du président du conseil de surveillance qui l’a bien souvent pressenti. Et je ne vois pas les élus comme un frein ! Au contraire, ils sont bien souvent très impliqués et aidants – et à raison car l’hôpital est un acteur majeur de la vie d’une cité ! A Lyon, le Maire est extrêmement présent et bienveillant à l’égard du CHU.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
DM – Heureusement ils sont nombreux. Chaque fois qu’un projet d’ampleur se matérialise et qu’on inaugure un nouveau site comme les nouveaux Purpan et Rangueil à Toulouse, qu’un CHU est placé sur de bons rails comme le projet de reconstruction du CHU de Nantes sur l’île de la Cité, à proximité de l’université et des instituts de recherche – projet que j’ai esquissé lors de mon intérim. A Lyon je suis heureux de voir le nouvel Edouard Herriot prendre forme avec un financement de la ville et du Grand Lyon. A travers cet engagement, Gérard Collomb poursuit un politique de soutien au CHU qui l’a déjà amené à attribuer 74 millions d’euros d’investissement entre 1997 et 2009. Demain, les 40 millions d’euros qu’il allouera à la reconstruction du site sont une manière de prolonger l’histoire millénaire qui lie les HCL à la cité des soyeux.
Et le pire ?
DM – La catastrophe d’AZF est à la fois le pire des chocs, je revois l’afflux des blessés et des familles dans le désarroi. Mais j’ai aussi le souvenir d’une mobilisation extraordinaire ; A l’heure de l’explosion, le 21 septembre 2001, vers 10h j’étais à l’Hôtel Dieu, la déflagration a été ressentie jusque dans les fondations de l’établissement, toutes les communications ont été coupées pendant une heure et j’ai pu constater de visu la bonne coordination des secours : le poste avancé, les urgences et le tri des blessés. Au moment du changement d’équipe, ceux du matin sont restés pour apporter leur aide à ceux du soir qui arrivaient. Chacun savait où aller et ce qu’il avait à faire. Les hospitaliers ont mis leur professionnalisme au service les victimes dans un formidable élan de solidarité. Des retraités sont spontanément venus apporter leur aide. C’était une fierté énorme de voir la capacité de réaction et l’efficacité instantanée de l’hôpital public. Toulouse a été exemplaire et a su immédiatement appliquer les enseignements acquis au cours des exercices d’entrainement. Dans ces situations de catastrophe, l’hôpital public est toujours au premier rang.
Je pars avec tous ces souvenirs en tête et heureux d’avoir vécu cette belle évolution de l’Hôpital public depuis 40 ans, une évolution marquée aussi par le développement fulgurant de la recherche, pour le plus grand bien de nos malades.
Marie-Georges Fayn
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