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«Du management hospitalier au management des services de santé» Éric de Roodenbeke (IHF)

Éric de Roodenbeke, directeur général de la Fédération Internationale des Hôpitaux explique avec conviction pourquoi le management hospitalier doit être remplacé par le management des services de santé, quitte à ébranler un certain nombre d’idées reçues…

Éric de Roodenbeke, directeur général de la Fédération Internationale des Hôpitaux explique avec conviction pourquoi le management hospitalier doit être remplacé par le management des services de santé, quitte à ébranler un certain nombre d’idées reçues…

Vous qui détenez une vision grand angle du management hospitalier au niveau mondial, pourquoi n’employez-vous pas ce terme ?
Éric de Roodenbeke : Dans le contexte actuel de transformation profonde des systèmes de santé, l’évolution de l’hôpital impose un questionnement autour de sa représentation. Pourquoi associer systématiquement ce terme à des lits et à des édifices imposants ? Cette interrogation fait écho aux travaux de l’OMS, de l’OCDE et de la Banque Mondiale qui, depuis des années, démontrent que l’état de santé des populations repose avant tout sur la bonne qualité et la bonne organisation de soins de santé primaires efficaces tandis que les hôpitaux demeurent très couteux, desservent principalement les grands centres urbains et n’ont pas un impact majeur sur les principaux indicateurs de santé des populations*. 
L’« hôpital » est, pour ces instances comme pour beaucoup d’entre nous, synonyme de structures complexes, d’enfermement, avec des chambres où les personnes attendent des soins. Pour autant ces organisations mondiales ne remettent pas en cause la nécessité d’avoir des services spécialisés qui détiennent les compétences ultimes, pilotent la recherche et l’innovation et soutiennent les autres unités de proximité afin de les sécuriser et participent à la formation des spécialistes. Mais parallèlement, force est de constater le développement d’alternatives ambulatoires comme l’hospitalisation à domicile, la téléconsultation, le télésuivi….
Ces évolutions laissent penser qu’il faudra toujours des services pour soutenir la santé des personnes mais que ces services vont évoluer. Aussi, plutôt que de dépenser beaucoup d’énergie à convaincre que leur vision de l’Hôpital "cité dans la cité" est en partie erronée et passéiste, il est préférable d’adopter le terme plus générique « de services de santé » pour traduire l’importance de construire une réponse tissée avec le territoire, adaptée aux besoins de santé des populations avec des organisations qui peuvent délivrer des services de santé multiformes.
 eric bis
"Je préfère remplacer le terme Hôpital par la périphrase « services de santé » afin d’exprimer la nécessité de tisser une offre plus souple, multiforme adaptée aux besoins de santé des populations et à la réalité des territoires."  Éric de Roodenbeke, directeur général de la Fédération Internationale des Hôpitaux
Cette terminologie permet aussi de mieux participer à la mutation de « l’hôpital » en modèles plus souples et variant d’un pays à l’autre mais aussi d’un territoire à un autre. Cette réorganisation à grande échelle requiert un management à la pointe pouvant maîtriser la complexité, gérer des ressources de la manière la plus efficiente possible et coordonner l’offre de soins en portant une attention particulière à l’aménagement du territoire et s’affranchissant des antagonismes opposant le public au privé. Ces compétences seront d’autant plus indispensables que les besoins de santé ne vont pas en diminuant du fait du vieillissement de la population et du poids de la multi-chronicité dans les conditions santé. "Je préfère remplacer le terme Hôpital par la périphrase « services de santé » afin d’exprimer la nécessité de tisser une offre plus souple, multiforme adaptée aux besoins de santé des populations et à la réalité des territoires ."  Éric de Roodenbeke, directeur général de la Fédération Internationale des Hôpitaux
Dans ce cadre nous avons développé un registre international des compétences en management et leadership  qui permet maintenant librement aux dirigeants de faire un point sur leur compétences tout en reconnaissant que ces compétences sont essentielles sans distinction quel que soit le lieu où l’on exerce.
La transformation des organisations doit être pensée dans l’intérêt des personnes qui vivent avec souvent plusieurs pathologies chroniques. Et au passage je n’emploie pas non plus le terme de « malade » car ce mot renvoie à une perte d’autonomie. Or aujourd’hui beaucoup de personnes ont des problèmes de santé mais continuent à avoir une vie sociale et professionnelle. On préfère parler de personnes dont il faut promouvoir la santé et les capacités ou du moins réduire les atteintes à leur perte de capacités.
Quelle est votre vision des grands défis que les dirigeants de services de santé devront relever dans les prochaines années ?
Éric de Roodenbeke : Les manageurs doivent préparer cette mutation, sortir de la dichotomie qui sépare les CHU du reste des établissements. Certes, il y aura encore des établissements comme les CHU dotés de moyens importants pour traiter des pathologies lourdes mais il y aura davantage de porosité avec les autres structures plus légères. Cette notion de souplesse nous invite à promouvoir un management qui ne soit pas lié à une forme d’organisation. Les managers de demain devront transformer les établissements selon deux axes : décloisonner pour ne plus travailler par spécialité et décloisonner leurs relations avec l’ensemble des acteurs du système de santé.
Aujourd’hui on identifie la personne ayant une maladie chronique par une pathologie dominante et des comorbidités. D’autres approches émergent qui considèrent une condition clinique et des pathologies qui sont toutes égales ; ces multimorbidités nécessitent un véritable travail d’équipe et non plus spécialité par spécialité. Il faut donc repenser l’organisation interne. Le deuxième défi, c’est la collaboration avec tous les acteurs extérieurs selon les formats qui varient en fonction du contexte et de l’endroit. Il s’agit de s’ouvrir sur l’avenir et de se préparer aux changements et d’éviter d’adopter une posture de défense.
Dans cette nouvelle configuration, les associations de patients seront parties prenantes à l’intérieur comme à l’extérieur des services. Elles participeront à la gestion et au fonctionnement des services de soins. C’est-à-dire que le patient et ses représentants interviendront aussi bien sur les questions d’organisation que sur des questions cliniques. Et donc, en matière de défi de gestion, il faut trouver des modalités pour les intégrer dans les mécanismes de prise de décision.
Et dans ce contexte qu’apporte le congrès hospitalier mondial ?
Éric de Roodenbeke : Déjà, il permet de vérifier que malgré les spécificités de chaque nation, les problèmes fondamentaux sont les mêmes. Aussi, les réponses apportées par certains pays peuvent nous inspirer pour trouver nos propres réponses. Par exemple, concernant l’organisation des services de santé face aux pathologies chroniques .il est intéressant de voir comment l’Institut Karolinska de Suède a restructuré ses services pour faire face à la multimorbidité. Sur le même sujet, on retrouve aussi des innovations aux USA en réponse aux besoins de santé des populations . Quant à l’intégration des patients à tous les niveaux, Hong Kong, parmi d’autres, a énormément de choses à nous apprendre. 
En termes d’adoption des nouvelles technologies, les pays les plus avancés du moyen orient, tracent la voie sans aucun complexe ni crainte. Lors de notre 43ème congrès hospitalier mondial qui s’est tenu à Oman du 6 au 9 novembre 2019, avec la participations de représentants de 60 pays, le grand prix pour le management et le leadership a été décerné aux services de santé des émirats arabes unis qui se sont dotés d’un système de gestion de remontée d’information leur permettant une prise de décision pleinement informée et réactive.
La France apporte ses expériences intéressantes en HAD, structurée, qui représente un modèle intéressant. Ce pays possède aussi une combinaison très prometteuse entre la recherche et les start up , au même titre qu’Israël mais sous une autre forme.
Et l’année prochaine, que se passera-t-il à Barcelone du 2 au 5 novembre 2020 ?
Éric de Roodenbeke : Le thème du prochain congrès est justement celui de la transformation, à la croisée, des progrès technologiques, du rôle des personnes (patients et professionnels) et l’enjeu des valeurs qui relèvent à la fois des intérêts économiques et des principes humanistes. Nous analyserons comment ces trois dynamiques conduisent la transformation des services de santé. Nous projetons également de créer un atelier de co-production de solutions entre professionnels du management et acteurs de santé – un hackathon entre patients et managers. Ensemble ils seront invités à cocréer des propositions de transformation qui répondent aux aspirations des personnes et sont jugées faisables par les responsables. On ne peut qu’inviter les dirigeants des services de santé de France à partager leurs succès avec leurs collègues du monde entier. https://worldhospitalcongress.org/2020-call-for-papers-and-posters/
Et puis nous sommes attentifs à la nouvelle génération. A Oman nous avons invité les jeunes responsables de dix pays à travailler ensemble pendant plusieurs mois grâce aux outils collaboratifs modernes qui réduisent la notion d’espace puis dans des ateliers pour qu’ils formalisent, par-delà leurs différences, des directions et des pistes communes . Cette expérience sera renouvelée à Barcelone car il est important qu’ils trouvent leur place et engagent les transformations nécessaires.
Propos recueillis par Marie-Georges Fayn

En savoir plus sur l’IHF

La Fédération internationale des hôpitaux (IHF) est une organisation non gouvernementale internationale à but non lucratif fondée en 1929 qui réunit des hôpitaux et des établissements de santé de tous les pays. Son ambition est d’élever le niveau des services de santé mondial dans le but principal d’améliorer la santé de la population. L’IHF a son siège à Genève, et elle organise chaque année le Congrès mondial hospitalier. Un forum unique qui réunit des dirigeants internationaux d’hôpitaux et d’établissements de soins de plus de 40 pays qui se réunissent tous les ans pour débattre et partager les solutions en matière de management des soins de santé et de prestation de services. Ce forum facilite les échanges multidisciplinaires de connaissances, d’expertise et d’expériences, et encourage la diffusion des meilleures pratiques en matière de gestion des services de santé.
https://www.ihf-fih.org/
* Sources 
OCDE : Atteindre le plein potentiel des soins de santé
primaire https://www.oecd.org/health/health-systems/OECD-Policy-Brief-Primary-Health-Care-May-2019.pdf 
Publications de l’OMS http://www.euro.who.int/en/health-topics/Health-systems/primary-health-care/news/news/2018/11/revitalizing-primary-health-care-for-the-21st-century 
https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/255311/WHO-HIS-SDS-2017.9-eng.pdf;jsessionid=DA9E3E6225CFC8EF21992F027993C04D?sequence=1
Engagements du G7 https://www.gouvernement.fr/en/for-an-inclusive-evidence-based-and-sustainable-g7-action-in-global-health

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