Gestion des risques à l’hôpital, le système italien en crise !

« Les dysfonctionnements s’accumulent depuis des années. L’Italie a trop tardé à prendre les mesures correctrices qui s’imposaient et la situation s’est enlisée. Aujourd’hui le pays se réveille avec un système de gestion des risques en crise ». Ainsi s’exprimait Anna Guerrieri, ingénieur en gestion des risques hospitaliers, lors de la table-ronde « Risques et assurabilité » organisée dans le cadre d’Hôpital Expo Méditerranée le 5 décembre 2015. Pour comprendre ce qui se passe de l’autre côté des Alpes, Anna Guerrieri, répond aux questions de RESEAU CHU...

« Les dysfonctionnements s’accumulent depuis des années. L’Italie a trop tardé à prendre les mesures correctrices qui s’imposaient et la situation s’est enlisée. Aujourd’hui le pays se réveille avec un système de gestion des risques en crise ». Ainsi s’exprimait Anna Guerrieri, ingénieur en gestion des risques hospitaliers, lors de la table-ronde « Risques et assurabilité » organisée dans le cadre d’Hôpital Expo Méditerranée le 5 décembre 2015. « Les effets de cette crise sont redoutables ». Pour comprendre ce qui se passe de l’autre côté des Alpes, Anna Guerrieri, répond aux questions de RESEAU CHU…
Quels sont les signaux les plus inquiétants ?
Tout d’abord l’augmentation du nombre de plaintes et de procès entretenus par des avocats. Selon les estimations d’ANIA (association nationale des compagnies d’assurance), le nombre de sinistres déclarés a plus que triplé entre 1994 et 2011 passant de 9 500 à 31 500. On constate aussi un accroissement exponentiel du montant moyen des indemnisations, multiplié par deux en 10 ans. Il était de 20 157 € en 2002 et a grimpé jusqu’à 47 000€ en 2012.
Cette  judiciarisation à outrance a pour corollaire le développement d’une médecine défensive par plus de la moitié des praticiens selon une enquête. Avec pour conséquence une spirale inflationniste des dépenses de santé. Les surcoûts sont estimés à 9-10 milliards d’euros pour financer des examens complémentaires et d’autres dépenses requises par les médecins pour se justifier et de se sur protéger en cas de plainte (14% de prescriptions de médicaments en plus, 25% d’examens d’imagerie médicale, 23% d’examens de laboratoire, 11% de visites supplémentaires chez les spécialistes*). Plus dramatique, les patients à haut risque de complication ont de plus en plus de difficultés à trouver un praticien. Au total l’addition pour les patients a augmenté de 165 € pour un  montant des soins par habitant qui atteint désormais 1 847 €.*
Comment l’Italie a-t-elle pu en arriver là ?
En cause, d’abord le flou juridique : il n’existe pas de règles, ni de cadres définissant l’étendue des dommages (la seule grille de référence en vigueur s’applique aux dommages entraînant moins de 10% d’invalidité professionnelle). Au-delà, des barèmes contradictoires sont appliqués aux mêmes types de lésions suivant les régions. Ces désaccords font le lit des querelles entre avocats à la fois au civil et au pénal, le travail des experts et des juges devient de plus en plus compliqué et les tribunaux sont engorgés.
Et du côté des assureurs ?
Les compagnies d’assurance italiennes ont abandonné la couverture des établissements de santé publics et privés et les groupes étrangers réduisent leur présence : débâcle du syndicat Marketform Lloyd’s, faillite de Faro en novembre 2011. Un an après City Insurance perdait son autorisation d’exercice en Italie (sanction IVASS- autorité de contrôle des organismes d’assurance). Dès 2013, le QBE n’acceptait plus de nouveaux contrats. Quant à Newline, le seul syndicat du Lloyd’s de Londres, il réduisait ses opérations de moitié. AmTrust, leader du marché italien avec un chiffre d’affaires de 281 M de dollars en 2013 est désormais en conflit avec son distributeur italien Trust Risk Italia.
Mais comment font les établissements pour s’assurer ?        
Ils ont souvent recours à l’auto-assurance, c’est-à-dire à la gestion directe des déclarations de sinistres et des indemnisations, par choix ou parce qu’ils n’ont pas trouvé d’assurance à un coût soutenable.  Les rares assureurs disposés à couvrir le risque imposent dans les contrats d’assurance des franchises importantes, jusqu’à 1 ou 2 millions d’euros, et des primes élevées  atteignant plusieurs dizaines de millions d’euros. La situation est très hétérogène en fonction des régions. Disons que la plupart des structures ont opté pour un système mixte assureur privé/gestion directe des sinistres. Plusieurs régions qui sont en gestion directe  ont institué un fonds pour les réserves, c’est le cas de l’Emilie romane, la Toscane, la Vénétie, la Ligurie, la Sicile, les Pouilles et la Basilique.

Quelles sont les limites de la gestion directe des sinistres et des fonds régionaux ?
Le système souffre du manque de formation du personnel en charge de la gestion, de l’évaluation et du versement des indemnités. Les réserves sont inadaptées, pas d’estimation actuarielle fiable sur le montant des provisions… De quoi inquiéter les établissements de santé.
Dans ces conditions, comment se déroulent les procédures ?
La « médiation civile », encouragée pour désengorger les tribunaux, rencontre très peu de succès.
Les procédures civiles sont nombreuses et très longues, environ 7 ans. Contrairement à la France, la charge de la preuve incombe à l’établissement ou au médecin – qui en Italie peuvent être poursuivis à titre personnel, même quand ils exercent dans le public. Les dédommagements de plus en plus onéreux. En Italie, l’indemnité pour dommage moral à la personne est la plus élevée d’Europe. Le recours à la procédure pénale (art. 590 CP lésions corporelles et 589 homicide involontaire) devient courant alors que le nombre de condamnations reste faible. Très souvent, il est utilisé pour encourager la définition d’un litige civil, judiciaire ou extrajudiciaire. 
Quelles sont les conséquences pour les patients, pour les praticiens, pour les établissements, pour le système de santé ?
Pour un établissement public de santé, le risque principal est de ne pouvoir s’acquitter de l’indemnité pour insuffisance des ressources disponibles. Dans ce cas l’Etat devra augmenter sa contribution régionale et cette charge sera reportée sur les citoyens. Un impôt de plus ! Mais le plus dramatique est de constater que le phénomène d’autoassurance  a eu une incidence très nette sur la pratique de la médecine défensive. Les médecins se protègent de la judiciarisation en limitant les interventions.
Quelles solutions pourraient "sauver" le système italien  ?
L’Italie pourrait s’inspirer de la France, de ses assureurs mutualistes spécialisés qui couvrent non seulement les établissements et les professionnels de santé, mais aussi ceux du secteur médico-social et social. Ces derniers étant de plus en plus nombreux du fait du vieillissement de la population. Ces compagnies accordent une grande  place à l’analyse, l’évaluation et à la gestion des risques et partagent leur expertise avec les acteurs. En Italie, nous devons repenser le principe de mutualité et en faire un pilier sur lequel construire un nouveau modèle de gestion soutenable.
Ainsi, les intérêts des assureurs et ceux des établissements de santé ne seront plus opposés mais convergents. Je crois en cette nouvelle voie !
Marie-Georges Fayn
*Source enquête pilote menée par AGENAS sur un échantillon de 1.500 médecins hospitaliers présentée le 11/11/2014

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