Trois ans après leur constitution, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) rend son rapport de mission sur le bilan d’étape des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Les principales conclusions et recommandations…
Les 4 principaux axes d’investigation portaient sur le périmètre géographique et la composition des GHT, leur gouvernance, les projets médicaux partagés (PMP) et l’impact de cette nouvelle organisation sur la mutualisation des ressources hospitalières. Il était également demandé d’apprécier la dynamique des GHT au regard des deux objectifs que leur fixait la loi de 2016: la gradation des soins pour un accès égal à des soins de qualité et sécurisés, et la rationalisation des modes de gestion.
Les GHT "au milieu du gué"
« Globalement, les GHT sont actuellement "au milieu du gué" , avec des déploiements très inégaux, estiment les rapporteurs de l’IGAS. Certains apparaissent clairement en avance, convergeant vers un modèle intégratif, d’autres sont en retard, pénalisés par des périmètres ou compositions inadéquats, ou freinés par des contextes médicaux ou économiques défavorables. Enfin, une troisième catégorie, probablement la majorité, est "en chantier"».
Des freins apparaissent ainsi récurrents: contexte peu porteur de l’offre de soins publique (activité en faible croissance, problèmes de recrutements médicaux), lenteur des mouvements institutionnels (création de directions communes ou de fusions d’établissements), persistance de dissensions internes, fragilités financières, insuffisance des méthodes d’évaluation mises en oeuvre. Des mouvements amorcés restent à confirmer, notamment les recompositions et gradations en cours de l’offre de soins, ainsi que la prise en compte de la qualité et de la gestion des risques dans la démarche des GHT.
Une gouvernance bien installée dans un GHT sur cinq
Les instances de gouvernance sont en place avec un rôle moteur pour le comité stratégique, souvent appuyé d’un bureau, et le collège médical, ou la commission médicale de groupement (CMG), dans un GHT sur cinq rapporte l’IGAS. La mission n’a pas constaté de tensions entre directions et communautés médicales mais propose un renforcement de la gouvernance médicale en application de la loi, avec notamment une composante médicale majoritaire au comité stratégique, par analogie avec le directoire des établissements de santé.
La commission de soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques (CSIRMT) investit significativement le champ de la qualité et de la gestion des risques et développe une approche coordonnée de l’activité et des formations des soignants du GHT.
En revanche le comité territorial des élus locaux (CTEL) reste peu actif et globalement limité à une instance de partage d’informations. «Les élus doivent donc être davantage associés pour partager les enjeux sensibles du GHT, notamment la recomposition de l’offre de soins qui nécessite une pédagogie active et impose de les consulter, préconise l’IGAS. De même, le comité des usagers trouve difficilement sa place, ses membres se consacrant surtout à des questions du ressort de chaque établissement. Le principe d’une représentation au comité stratégique est à envisager».
Autre constat: la conférence territoriale de dialogue sociale est affectée par l’opposition de principe de certaines organisations syndicales au GHT, qui n’y participent pas. Le champ du dialogue social au niveau du GHT reste à préciser en privilégiant les questions liées à la mutualisation des ressources humaines. Un espace de concertation doit être maintenu dans chaque établissement pour les questions d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail.
Vers des projets médico-soignants partagés
Les PMP adoptés en 2017 sont globalement de qualité. La plupart des GHT ont établi un bilan complet de leurs filières (parfois trop nombreuses) et ont posé des objectifs ambitieux de gradation des soins que les ARS ont validés, parfois avec quelques prescriptions supplémentaires. Cependant, l’articulation avec les projets de soins partagés (PSP) est insuffisante. L’association avec le secteur médico-social est inégale, et avec l’HAD, elle fait défaut dans un tiers des cas, bien qu’obligatoire. L’ouverture sur l’offre de ville, reste cependant souvent faible dans l’attente d’une structuration de la gouvernance des acteurs libéraux dans les CPTS.
Le bilan des PMP reste contrasté. Il conviendrait qu’une évaluation en soit faite dans chaque GHT avant d’élaborer de nouveaux projets, pour lesquels la mission préconise des projets médico-soignants partagés (PMSP) construits en associant médecins et soignants avec une approche populationnelle et plusieurs thématiques transversales telles la continuité, la qualité et la sécurité des soins, la télémédecine, la prévention et la précarité.
La mutualisation des ressources en médecins est tantôt freinée, tantôt stimulée par les tensions de la démographie médicale. Principalement alimentée par les postes d’assistants spécialistes régionaux à temps partagé, financés ou cofinancés par les ARS, la mutualisation a des effets variables. Si des équipes médicales de territoire se créent dans certains GHT, ce mouvement dépend fortement des ressources médicales des établissements supports et n’a pas permis de mesurer une réduction du recours à l’intérim. Alors que quelques GHT sont déjà engagés dans des démarches de GRH médicale, sa généralisation prévue par la loi devrait permettre de développer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) médicale. Celle-ci doit pouvoir s’appuyer sur un renforcement de l’attractivité des emplois médicaux à l’hôpital public. Une évaluation des dispositifs réglementaires prévus à cet effet est nécessaire.
Une mutualisation des fonctions supports très hétérogène
Les systèmes d’information hospitaliers (SIH) sont caractérisés par la diversité des logiciels utilisés par les établissements d’un même GHT, qu’il s’agisse de l’informatique médicale ou de gestion. Les directions SI de GHT sont créées et les schémas directeurs sont arrêtés. Mais les ambitions de convergence se limitent souvent à une interopérabilité des applications, faute de consensus sur un choix de logiciel commun et de moyens suffisants pour en faire l’acquisition.
De fait, le dossier patient unique, important pour coordonner l’exercice médical au niveau du territoire, paraît un objectif en général très lointain. Des délais de 5 à 10 ans sont évoqués. Globalement les coûts d’infrastructures (réseau, hébergement des données), d’achats et de déploiement des logiciels sont très supérieurs aux financements « leviers » mobilisables dans le cadre du plan HOP’en ("Hôpital numérique ouvert sur son environnement"). La mission préconise donc un accompagnement financier plus important mais conditionnel dans ce domaine.
Le domaine des achats est le plus avancé, bénéficiant de l’antériorité du programme Phare et des groupements d’achats. Les gains sur achats sont maintenus, mais ne paraissent pas progresser avec les GHT. La sécurité juridique des procédures a sans doute gagné, mais la centralisation des achats au niveau de l’établissement support rend difficile le recours aux fournisseurs locaux pour les établissements de petite taille et peut allonger les délais d’approvisionnement. Il est nécessaire de généraliser les délégations aux établissements parties pour les achats dont le montant ne nécessite ni procédure de mise en concurrence ni publicité.
Enfin, sur le plan budgétaire et financier, la création des budgets G s’inscrit le plus souvent dans une application des dispositions réglementaires qui minimise les volumes financiers transférés pour éviter des tensions que l’accroissement des contributions des établissements parties pourrait créer.
En outre, la mission note que la situation financière très dégradée de certains établissements support leur interdit globalement de jouer le rôle moteur que leur assigne la réglementation et pourrait nécessiter, sous condition d’une trajectoire de redressement, un accompagnement financier spécifique avec un objectif de consolidation du haut de bilan. C
En conclusion
La consolidation du modèle agrégatif du GHT actuel, aux compétences élargies et à la gouvernance potentiellement allégée par les droits d’option ouverts, permettrait de donner un nouvel élan aux GHT, afin de poursuivre et d’amplifier des résultats, qui bien qu’incomplets et inégaux, sont en trois ans très supérieurs à ceux que les CHT antérieures présentaient 7 ans après leur instauration en 2009.
Le premier scénario, de court terme, est ancré sur la proximité. Les établissements ou sites de proximité constituent désormais une priorité, un mode de labellisation et des moyens de fonctionnement et financement nouveaux étant en voie de définition. Intégrés aux GHT3, ils doivent bénéficier des synergies internes qu’il peut procurer, et constituer pour eux un apport, compatible avec les objectifs de gradation des filières et d’ouverture sur l’offre libérale. Dans cette perspective et en référence au principe de subsidiarité, la mission propose les ajustements nécessaires à la gouvernance du GHT, avec un champ de compétences déléguées aux hôpitaux de proximité pour les relations avec le médicosocial et la médecine de ville.
Betty Mamane