C’est par ce triste constat que le Dr Jean-Pierre Alibeu, coordonnateur du Centre de la Douleur du CHU de Grenoble, introduit son plaidoyer en faveur d’un cursus universitaire dédié à la douleur. Il dénonce au passage les tabous qui ont retardé son traitement dans les établissements de soins et son enseignement dans les facultés.
Les définitions de la douleur
La douleur est multi-factorielle et se manifeste dans des circonstances très diverses : douleur aiguë dans le cadre des urgences, médicales, chirurgicales, brûlures. Sa valeur symptôme a longtemps fait refuser sa prise en charge alors que l’on sait maintenant étayer un diagnostic sur d’autres indicateurs bien plus fiables.
La douleur en période péri-opératoire a une action délétère sur la durée de séjour, les complications, les séquelles : son traitement n’est donc pas qu’une démarche de simple humanité mais un acte médical raisonné.
Enfin la douleur chronique qualifie cet état particulier où la douleur n’exprime plus l’accompagnement d’une maladie d’organe ou d’un syndrome, mais se développe pour son propre compte, échappant à toute description nosologique classique.
Le coût de la douleur
La douleur engendre bien sûr de multiples explorations et prises en charge spécialisées ce qui représente d’énormes coûts directs et indirects pour les sociétés industrialisées : kinésithérapie, dépenses pharmaceutiques, imageries diverses, hospitalisations pour un résultat souvent décevant par manque de coordination, vecteur de nomadisme et d’absentéisme.
A titre d’exemple, le coût direct des soins pour les seules lombalgies a été de 1,4 milliards d’Euros aux Pays-Bas en 1998, représentant 6,6% des dépenses de santé, le coût total de cette pathologie représentant 0,28% du PNB. Entre 18 et 55 ans, la lombalgie cause plus de handicaps fonctionnels que le cancer, les maladies cardiaques, les accidents vasculaires et le SIDA réunis. Les coûts directs de cette pathologie restent toutefois faibles comparés aux coûts indirects que représentent les indemnités et compensations ainsi que la perte de production liée à l’absentéisme. Ces derniers sont probablement cinq à dix fois supérieurs.
Traiter la douleur chronique : Le défi de la pluridisciplinarité
Traiter la douleur chronique nécessite des praticiens et des structures capables de prendre en compte, outre une pathologie organique, les difficultés liées aux problèmes psychologiques et comportementaux du patient, et à l’altération de ses relations avec son environnement. Seule une approche pluridisciplinaire au sein de structures adaptées permettra de réduire les coûts directs et indirects liés à la douleur, notamment en améliorant la prise en compte des dimensions psychologiques, émotionnelles, comportementales et sociales, en réduisant le nomadisme, en facilitant concrètement une réinsertion familiale, sociale et professionnelle des douloureux chroniques. Or les médecins généralistes et spécialistes ne sont ni armés ni formés à prendre en charge l’intégralité du problème.
La question cruciale de l’enseignement
Les écoles paramédicales ont déjà réagi à cet impératif de formation. Elèves IDE, IADE, puéricultrices, kinésithérapeutes reçoivent un enseignement sur la reconnaissance, la prise en charge et la prévention de la douleur alors que les jeunes internes ne sont pas préparés à cette tâche.
A l’Université, ce savoir – annexe des enseignements académiques – reste morcelé. On y apprend la douleur de l’appendicite, de l’ulcère gastrique, parfois de la pneumopathie, mais à titre d’éléments du diagnostic et jamais la douleur chronique rebelle n’est abordée de manière synthétique.
L’arrêté du 10 octobre 2000 du Ministère de l’Education Nationale relatif à la deuxième partie du Deuxième Cycle des Etudes Médicales rappelle l’impératif de l’enseignement de la prise en charge de la douleur.
Un module transdisciplinaire : « Douleur-Soins palliatifs-Accompagnement » forme aux bases neuro-physiologiques de l’évaluation d’une douleur aiguë et d’une douleur chronique, aux thérapeutiques antalgiques médicamenteuses et non médicamenteuses de l’anesthésie loco-régionale, de la douleur chez l’enfant. Le volume horaire n’est pas précisé et reste à la discrétion des Directeurs d’UFR médicales plus ou moins sensibilisés à cette question. Un autre frein est la pénurie d’enseignants en matière de douleur. Actuellement, le recrutement repose sur une sorte de volontariat personnel de professeurs issus d’autres spécialités « es qualité» tel neurologue ici, tel anesthésiste là et qui ont fait de la lutte contre la douleur leur passion. Cette situation conduit le CNU 4 à un ciblage plus précis des enseignants en douleur.
Une mobilisation croissante des universités et praticiens
Des mouvements scientifiques apparaissent sous l’égide d’Universitaires ou d’associations internationales. Des périodiques apparaissent : L’Observatoire de la Douleur en 1997, la revue Douleur en 2000. Quant à la recherche scientifique française, elle est d’excellente qualité, reconnue au niveau international avec les professeurs :Guilbaut, Besson, Le Bars, Willer, Gauvain-Piquard. L’INSERM et le CNRS se sont investis dans des programmes ambitieux. Mais on attend des Universités un élan, une impulsion pour promouvoir cette recherche aux conséquences immenses pour la santé publique.
La douleur dans les Universités en Rhône-Alpes
En collaboration avec l’Auvergne, un enseignement régional de la Capacité d’évaluation et traitement de la douleur est proposé aux médecins thésés ainsi qu’un diplôme Universitaire de prise en charge de la douleur par les professions médicales et paramédicales. Chaque année, de nombreux FMC, séminaires et formations paramédicales sont organisés sur le sujet.
Une recherche active étudie la neurophysiologie et neuro-imagerie de la douleur, la pharmacologie fondamentale et clinique, les techniques d’évaluation de la douleur chez l’enfant et en réanimation.
Les pôles spécialisés du CHU de Grenoble
Le Comité de Lutte contre la Douleur du CHU coordonne les prises en charge des 4 pôles : Douleur chronique de l’adulte, Douleur et soins palliatifs de l’enfant, Douleur aiguë et postopératoire, Centre de la douleur de l’adulte et de l’enfant. Il programme les formations et joue un rôle stratégique d’observatoire au niveau régional.
Enfin le Ministère de l’Education Nationale a affecté à Grenoble le seul Chef de Clinique à orientation Douleur, reconnaissant ainsi le dynamisme du CHU en la matière. L’objectif est de développer une véritable culture de la douleur dès l’Université. Une étape sera alors franchie vers la création d’un véritable cursus universitaire consacré à la douleur.