Lactarium Raymond Fourcade, la page se tourne à Bordeaux

Le 5 décembre dernier, sur le site de l’hôpital Haut-Lévêque (Pessac), était posée la première pierre du futur Lactarium Raymond Fourcade. Le projet qui sera livré l’an prochain, 1200 m2 de bâti neuf doté d’équipements dernier cri, doit venir “conforter la place du CHU de Bordeaux comme le plus important lactarium au niveau national” ; et prendre le relais de l’actuel site de production basé à Marmande (Lot-et-Garonne), en fonctionnement depuis près d’un demi-siècle et que le CHU avait acquis en 2012.

14h30. Trois rangées de chaises et un pupitre donnent au hall du centre médico-chirurgical Magellan, habituellement lieu de passage, un air de décor officiel. Quelques minutes plus tard, face à un parterre de mines réjouies, les prises de paroles succèdent au brouhaha ambiant. Aux discours placés sous le signe de l’ambition, formulés par Yann Bubien, Directeur Général du CHU de Bordeaux, ou encore Nicolas Grenier, président de la commission médicale d’établissement, vient s’ajouter celui de Pascale Pavone. 

La première adjointe au maire de pessac s’efface alors rapidement derrière la maman de jumeaux prématurés qui, se remémorant son expérience à haute voix, vient rapidement louer la richesse du lait maternel, or blanc indispensable pour nourrir les nombreux bébés qui naissent chaque année trop tôt – 55 000 selon l’Inserm, dont 15% de grands et 5% de très grands prématurés. Car c’est bien à eux que sera destinée la production du futur lactarium pessacais, dont la localisation doit, nous dit-on, faciliter l’acheminement de 18 000 litres de lait collectés avant son traitement et sa redistribution dans la métropole et les outre-mers. 

« Je suis heureux que le Grand Bordeaux puisse disposer d’un outil qu’on viendra voir et qui, surtout, sera utile pour beaucoup de nos futurs jeunes. » A Jean-Pierre Fourcade, 94 printemps, de conclure ainsi un discours ancré entre passé et avenir. Celui qui fut notamment ministre de « Giscard » (1974-1977) et maire de Boulogne-Billancourt (1995-2007), a tenu à faire le déplacement en mémoire à son père, le Dr Raymond Fourcade, fondateur du lactarium de Marmande. Un peu plus tard, c’est sous un beau soleil d’hiver que l’on retrouve Jean-Pierre Fourcade en train de fouler, avec ses proches, les abords du chantier du nouveau site, pour l’heure vaste tapis de terre aplanie.

Jean-Pierre Fourcade, le 5 décembre 2022. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Comme l’ensemble des personnes présentes, il repartira de cette pose de la première pierre avec une petite bouteille remplie d’une poudre blanche, symbole du lait lyophilisé qui fait la particularité et la réputation du lactarium Raymond Fourcade depuis ses origines.  

La lyophilisation, savoir-faire unique au monde

« Raymond Fourcade était responsable du centre de transfusion sanguine à Marmande où il lyophilisait le plasma. Petit à petit, il s’est occupé du don du lait,  a monté son propre lactarium et a mis au point le procédé de lyophilisation du lait maternel. « , raconte Delphine Lamireau, pédiatre et responsable des lactariums du CHU de Bordeaux*, rencontrée au lactarium de Marmande fin novembre. L’avantage numéro un de cette technique reste sa conservation – dix-huit mois à température ambiante contre huit pour le lait congelé -, ce qui a, dès le départ, permis de répondre aux problématiques de transport, notamment à destination des maternités les plus éloignées. 

« C’est un petit peu le fleuron marmandais. On est les seuls au monde à lyophiliser le lait ! « , lâche tout sourire Laetitia Riedweg, agent de production et laverie, malgré les moins trente degrés qui font partie de son quotidien de travail. Si en effet le lactarium Raymond Fourcade, institution et motif de fierté locale, est le seul centre à produire et vendre ce lait en poudre comme un médicament pour les prématurés, la lyophilisation du lait maternel se pratique ailleurs dans le cadre de la recherche. 

Le lactarium R. Fourcade à Marmande, inauguré en 1978, devenu vétuste. Crédit Photo : A.M

Actuellement, 12 000 litres de lait maternel sont annuellement récupérés par les dix-sept collectrices réparties dans tout le quart sud-ouest de la France, puis traités au lactarium. Le principe restera le même lorsque l’activité sera définitivement transférée à Pessac ; à ceci près que, contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, la quantité de lait dédié à la lyophilisation est amenée, sur l’ensemble de la production, à se réduire. Question de coût. « On va réserver la lyophilisation pour les DOM-TOM. Ça été un ordre du ministère de la santé. Il faut savoir que le lait lyophilisé coûte très cher [environ 150 euros le litre contre 80 euros pour le lait congelé] donc c’est la raison pour laquelle on l’a réservé pour les outre-mers, en se disant que sur le plan métropole, on pouvait leur envoyer du lait congelé », explique Delphine Lamireau, qui saluera néanmoins la possibilité de continuer à faire vivre, grâce à un lyophilisateur flambant neuf, cette « prouesse technologique » née dans les années 50, préservant ainsi la marque de fabrique du lactarium.

Quid des machines de pasteurisation, de congélation rotative et de lyophilisation, prototypes de métal et symboles d’une histoire industrielle locale, amenés à tirer leur révérence après un demi-siècle de bons et loyaux services ? L’idée d’en conserver une ou deux et, pourquoi pas, de leur réserver une place comme « pièces de musée » au sein du futur bâtiment, a été évoquée. 

Pour obtenir cette poudre, le lait maternel pasteurisé passe au congélateur rotatif, à - 30° C. Crédit Photo : A.M

Le lactarium est mort, vive le lactarium !

Il faut bien le dire, le transfert du lactarium, serpent de mer devenu réalité et vécu dans la cité marmandaise comme une délocalisation au profit de la métropole bordelaise, constitue un sujet sensible. Côté CHU, on explique que la vétusté du site historique, implanté depuis 1978, imposait une reconstruction. Quant à la localisation choisie pour cette opération renouveau (coût total de l’investissement : 8 millions d’euros), sur le site de l’hôpital Haut-Lévêque donc, elle « permettra d’avoir une forte proximité avec les services supports, en particulier logistiques « .

Une chose est sûre : parmi les salariés actuels, une majorité ne devrait pas poursuivre l’aventure, Pessac se situant souvent à plus de quatre-vingt kilomètres de leur domicile. Pour Jean-Pierre Fourcade, qui à l’instar de Raymond, a fait ses études sur le campus bordelais, ce déménagement sonne comme une suite logique : « Il tenait beaucoup à Marmande, mais il connaissait beaucoup de professeurs et de médecins de Bordeaux. A mon avis, il l’aurait accepté ! »

Le lait maternel, denrée rare 

« Le don de lait maternel n’est malheureusement pas aussi connu que le don de sang « , déplore Delphine Lamireau. Comme d’autres établissements en France, le CHU de Bordeaux lance régulièrement des appels en direction des mamans qui allaitent, dans l’espoir que celles-ci puissent donner une partie de leur lait pour les bébés prématurés qui, en raison de leur immaturité, ne peuvent pas boire autre chose que ce nectar naturel. « Ce n’est pas forcément des mamans qui ont trop de lait, poursuit le Dr Lamireau. Elles entrent en contact avec nous et ensuite on va venir chez elle leur expliquer les modalités de réception, d’expression, de conservation. Nos collectrices vont venir directement au domicile récupérer le lait congelé. »

Soutien et accompagnement à l’allaitement 

La relance régulière de ce type de campagne s’explique à la fois par un nombre de bébés prématurés qui ne varie pas et, de l’autre côté, une pénurie de la quantité disponible. Mais ce sujet du don du lait ne saurait être la seule activité d’un lactarium qui propose par ailleurs des consultations et des soins autour de l’allaitement pour soutenir et accompagner les mamans. La promotion de l’allaitement maternel, fluide biologique contenant divers facteurs bioactifs (hormones, cellules souches, protéines etc.) constitue un autre sujet du quotidien. « Le discours c’est pas « il faut absolument allaiter ! » C’est : « sachez que c’est le meilleur pour votre enfant, et que si vous souhaitez allaiter, on est là pour vous accompagner pour que cela se passe le mieux possible. », conclut Delphine Lamireau. 

Adrien Morcuende 

*il y a un autre lactarium sous l’hôpital des enfants (GH Pellegrin)

Commentaires

Il n’y a pas encore de commentaire pour cet article.

Sur le même sujet

Pour les CHU, le spectre de l’impasse financière

Dans un communiqué rendu public ce lundi 2 octobre, la Conférence des Directeurs Généraux de CHU s’alarme de la mauvaise situation financière des CHU français, imputable selon elle aux surcoûts en termes de ressources humaines et aux effets de l’inflation. Et redoute une dégradation rapide si l’Etat ne fait rien.

A Lyon, l’IA prédit désormais des résultats d’essais cliniques

Le 11 septembre dernier, le groupe pharmaceutique AstraZeneca a publié les résultats d’un essai clinique sur un traitement pour soigner le cancer du poumon. Jusqu’ici, tout paraît à peu près normal. Ce qui l’est moins : trois jours avant cette publication, une intelligence artificielle a permis de prédire avec justesse les résultats de ce même essai. Une grande première au niveau mondial.

Dossier : l’Accident Vasculaire Cérébral (AVC)

L’Accident Vasculaire Cérébral touche 150 000 personnes par an. Responsable de 110 000 hospitalisations selon le ministère de la santé, cet arrêt soudain de la circulation sanguin à l’intérieur du cerveau représente la troisième cause de décès chez l’homme et deuxième chez la femme, soit au total 30 000 décès par an. En France, plus de 500 000 Français vivent avec des séquelles suite à un AVC.

AVC : la promesse d’une prise en charge en moins de dix minutes

Les conséquences d’un Accident Cardiovasculaire (AVC) peuvent être lourdes, voire fatales. Première cause de dépendance et troisième cause de mortalité en France, cette pathologie due à une mauvaise irrigation du cerveau fait de plus en plus de victimes. Face à cette réalité alarmante, le CHU de Montpellier a annoncé fin août la mise en place d’un nouveau plateau technique offrant aux patients un parcours de soins optimisé. Et de promettre désormais une “prise en charge en neuf minutes”.

Coup d’oeil sur le métier d’infirmière formatrice

Isabelle Teurlay-Nicot est infirmière formatrice auprès des aides-soignants à l’IMS (Institut des Métiers de la Santé) du CHU de Bordeaux. Un métier qui ne se limite pas seulement à la notion d’apprentissage. En juillet dernier, elle a accepté de revenir sur cette profession ou se mêlent expertise médicale et pédagogie.