L’ingénierie cellulaire regroupe les techniques de production de populations cellulaires, sélectionnées pour leurs propriétés thérapeutiques, en vue de les utiliser via des greffes, dans la lutte contre les pathologies cancéreuses entre autres. A Nancy, l’équipe, «Ingénierie cellulaire-Immunothérapie cellulaire et approches translationnelles» est installée dans l’unité de recherche universitaire IMoPA*. Elle est co-dirigée par Danièle Bensoussan, responsable de l’Unité de Thérapie Cellulaire banque de Tissu et banque de sang placentaire (UTCT) et par Marie-Thérèse Rubio, chef de l’unité greffe du service d’Hématologie du CHRU et présidente du Conseil scientifique de la Société Francophone de Greffe de Moelle et de Thérapie Cellulaire (SFGM-TC). Rencontre avec ces pionnières «thérapicultrices».
Danièle Bensoussan: Plutôt que de «greffe de moelle osseuse», on parle plus volontiers aujourd’hui, de «greffe de cellules souches hématopoïétiques» que l’on prélève, par exemple, dans le sang de cordon ombilical ou le sang périphérique après mobilisation. Le recueil est quasiment systématique chez le patient adulte pour une autogreffe ou chez le donneur de cellules souches dans le cas d’une allogreffe. Chez l’enfant, les greffes de moelle osseuse demeurent le premier choix de greffon du fait du moindre besoin en nombre de cellules totales (dépendant du poids du receveur).
Marie-Thérèse Rubio: Le sang périphérique mobilisé est riche en lymphocytes T qui vont s’attaquer aux cellules cancéreuses du receveur. C’est ce que l’on appelle « L’effet greffe contre leucémie » (GVL) qui reste, pour l’instant, l’approche d’immunothérapie cellulaire la plus efficace dans les maladies hématologiques malignes. Mais, une fois injectés par voie intraveineuse, les lymphocytes T du donneur, même compatible, et, a fortiori, semi compatible, considérant les cellules du receveur comme étrangères, vont vouloir les détruire. C’est «La réaction du greffon contre l’hôte» (GVH) –un des principaux facteurs qui limite la greffe de cellules souches hématopoïétiques. Cette réaction est prévenue et traitée par traitements immunosuppresseurs qui ont pour conséquence de réprimer l’ensemble des lymphocytes T y compris ceux indispensables pour la défense anti-infectieuse.
D’où vos recherches, d’une part, sur des cellules permettant de moduler la réaction de GVH et, d’autre part, sur des lymphocytes T anti-viraux?
Marie-Thérèse Rubio: Nous cherchons à déterminer quel type de cellule pourrait nous aider à faire que la greffe de cellules souches hématopoïétiques prenne, garde son effet anti-tumoral, mais sans générer de GVH. Nous travaillons donc sur plusieurs types de cellules : les «CSM de Gelée de Wharton», présentes dans le cordon ombilical, ou, les lymphocytes NKT invariants, présents chez le donneur et modulateurs du système immunitaire pouvant inhiber la GVH tout en attaquant les cellules leucémiques. Ou, enfin, les cellules myéloïdes suppressives, présentes dans le sang périphérique. Nous avons montré, sur des modèles expérimentaux, que ces dernières bloquaient la GVH. Grâce à l’obtention récente d’un financement conséquent, nous allons produire et amplifier les NKT invariants en condition de grade clinique pour, nous l’espérons, les proposer dans le cadre d’un protocole clinique.
Danièle Bensoussan: Le second axe de recherche nous y travaillons depuis près de 10 ans maintenant et nous en sommes à l’administration chez l’homme. L’UTCT de Nancy est la seule unité en France à disposer d’une autorisation de l’Agence Nationale de la Sécurité du Médicament (ANSM) pour produire des lymphocytes T anti-Adénovirus (ADV). Ils ont la propriété de s’attaquer aux cellules infectées par l’ADV, un virus mettant en danger la vie du patient immunodéprimé après greffe de cellules souches hématopoïétiques. Nous sommes également engagés, au côté de cinq autres pays, dans le projet européen TRACE (H20-20), pour lequel Nancy sera le centre français producteur de lymphocytes T anti-ADV, anti-Cytomégalovirus (CMV) et anti-Epstein-Barr Virus (EBV) pour les centres investigateurs français.
Ainsi le projet est-il né d’une plateforme de production de médicaments de thérapie innovante à Nancy?
Danièle Bensoussan: Depuis quelques années, nous y travaillons. Cette production de médicaments de thérapie innovante -c’est le statut de ces produits cellulaires– serait destinée à une utilisation expérimentale dans le cadre d’essais cliniques. Ce projet coûteux doit répondre à des normes très strictes de production pharmaceutique et être installé dans des locaux hyper conformes. Il est porté à l’échelle de la Région Grand Est : l’Agence Régionale de Santé Grand Est, ainsi que les partenaires scientifiques et institutionnels du territoire ont garanti leur soutien et nous avons répondu récemment à un appel à projet dans ce sens.
Quelle priorité pour la recherche clinique sur la thérapie cellulaire?
Marie-Thérèse Rubio: Sans hésitation, la modification du lymphocyte T pour le forcer à aller tuer la cellule tumorale. Ce sont les « CAR-T cells », une immunothérapie anti-tumorale innovante sur laquelle américains et chinois ont déjà beaucoup avancé. Cette technique, qui implique de la manipulation génétique, est en cours de mise en place dans divers centres en France. Nous espérons pouvoir débuter les premiers essais thérapeutiques à Nancy d’ici la fin 2018 et écrire ainsi un nouveau chapitre de la thérapie cellulaire anti-tumorale.
propos recueillis par Laurence Verger (Communication Recherche CHRU Nancy)
*IMoPA : Ingénierie Moléculaire et Physiopathologie Articulaire UMR 7365 CNRS – Université de Lorraine