Exceptionnel anniversaire au CHU d’Amiens ! Le 27 novembre 2009, quatre ans jour pour jour après la première allogreffe du visage, les équipes ont renouvelé l’exploit en greffant le triangle lèvres-menton-mandibule sur un homme de 26 ans, gravement défiguré suite à une explosion. L’intervention a duré 19 heures. Elle a été réalisée par l’équipe du service de Chirurgie Maxillo-Faciale (Pr Bernard Devauchelle / Pr Sylvie Testelin), avec l’aide du Pr Benoît Lengele (Université Catholique de Louvain – Bruxelles) et du Dr Jacques Yachouh (CHU de Montpellier). Comme en 2005, cette allogreffe a été effectuée en étroite collaboration avec les équipes de transplantation et d’hématologie de l’hôpital Edouard Herriot du CHU de Lyon (Pr Jean-Michel Dubernard / Pr Mauricette Michallet) qui assurent le suivi du traitement immunosuppresseur, en lien avec l’Agence de la biomédecine. Au total plus de 50 personnes ont été associées à l’intervention.
L’allogreffe redonne un visage à un jeune homme
En mai 2008, un jeune homme de 26 ans perdait la partie inférieure de son visage dans une explosion accidentelle. Les lèvres, les joues, le menton, les maxillaires, les muscles du plancher buccal ont été arrachés. Depuis cet accident, le patient ne pouvait plus parler, ni manger, ni entretenir une quelconque vie sociale. Il vivait de façon permanente avec un masque et s’alimentait la nuit par sonde.
Face à ce constat et compte-tenu des résultats très prometteurs de la première allogreffe de face, le choix a été fait de proposer à ce patient la reconstruction du triangle lèvres-menton-mandibule en ayant recours à une allogreffe. En effet, aucune chirurgie réparatrice classique par auto-transplantation de tissu n’était à même de transformer valablement son état et seule une allogreffe partielle de face pouvait permettre de réduire son handicap.
Cet homme, très motivé et déterminé, a été totalement informé du choix thérapeutique, du déroulement de l’intervention, des suites opératoires et du traitement anti-rejet. Il a bien compris les risques inhérents à l’acte chirurgical et au traitement immunosuppresseur lié à la greffe. Il a accepté d’être traité et suivi par les deux équipes d’Amiens et de Lyon tant sur le plan médical que psychologique.
L’explosion avait aussi entraîné de nombreuses fractures orbitaires, prises en charge initialement par les Dr Patrick Jammet et Jacques Yachouh du CHU de Montpellier.
L’union de compétences, facteur de réussite
L’intervention a réuni une équipe d’experts de 3 CHU français et d’un établissement belge. Au total plus de 50 personnes ont été associées.
L’équipe de chirurgie de la transplantation de l’Hôpital Edouard Herriot de Lyon, sous la responsabilité des Professeurs Jean-Michel DUBERNARD et Xavier MARTIN avec l’aide des Professeurs Lyonnel BADET, Mauricette MICHALLET et Emmanuel MORELON, a choisi, mis en oeuvre, et assuré le suivi du traitement immunosuppresseur.
Au-delà, des spécialistes de psychiatrie et de psychologie, de dermato-anatomo-pathologie, de neuroscience, d’imagerie, d’hématologie, de néphrologie appartenant aux deux CHU ont réuni leurs compétences. Le partenariat s’est étendu aux personnels soignants et de rééducation.
Les équipes de transplantation ont décidé d’associer au traitement immunosuppresseur une greffe de moelle osseuse du donneur susceptible de faciliter la prévention du rejet, protocole initié par le Professeur Mauricette MICHALLET.
Ce projet s’inscrit dans le cadre du Programme Hospitalier de Recherche Clinique attribué depuis 2006 à l’équipe du Service de Chirurgie maxillofaciale du CHU d’Amiens portant sur « l’allo-transplantation faciale de tissus composites – évaluation anatomo-fonctionnelle ».
Le CHU d’Amiens travaille en étroite collaboration avec l’Agence de la Biomédecine, ce qui a permis la réalisation de cette sixième allogreffe partielle de la face en France le 27 novembre 2009. L’équipe de chirurgie maxillo-faciale et d’anesthésiologie du CHU d’Amiens est intervenue sous la responsabilité du Professeur Bernard DEVAUCHELLE, Coordonnateur. Elle était composée de chirurgiens, anesthésistes, infirmières de bloc opératoire, infirmières anesthésistes et prothésistes et notamment des Professeurs Ghassan BITAR, chirurgien – Pierrick BOUTE, chirurgien – Sophie CARTON, chirurgien – Kamel CHEBOUBI, anesthésiste – Sophie CREMADES, psychiatre – Stéphanie DAKPE, chirurgien – Corentin DENGLEHEM, chirurgien – Evgeny DIMOV, anesthésiste – Olivier DUNAUD, chirurgien – Benjamin GUICHARD, chirurgien – Sebastien LAVAQUERIE, chirurgien – Audrey LEMAIRE, chirurgien – Anthony MARTON, prothésiste – Cecilia NEIVA, chirurgien – Johann ORYE, chirurgien – Farid TAHA, chirurgien – Sylvie TESTELIN, chirurgien – Jean TCHAOUSSOFF, coordination hospitalière, anesthésiste réanimateur – Elie ZOGHEIB, anesthésiste ; tous praticiens au CHU d’Amiens.
En post-opératoire, le patient est suivi par le service de chirurgie de la transplantation du CHU de Lyon sous la responsabilité des Professeurs Xavier MARTIN et Jean-Michel DUBERNARD, coordonnateur assurant la mise en route et le suivi du traitement immunosuppresseur et sa surveillance, en collaboration avec le Professeur Mauricette MICHALLET (Hématologie) et son équipe, ainsi que de nombreux autres spécialistes à la fois psychiatres, phoniatres, hématologistes et chercheurs : Lionel BADET, transplantologie – Jean –Luc BEZIAT, chirurgien maxillo-facial – Maria BRUNET, transplantologie – Olivier DUBOSC de PESQUIDOUX, coordination hospitalière – Assia EL JAAFARI, immunologie – Olivier HEQUET, thérapie cellulaire – Jean KANITAKIS, dermatologie – Hélène LABUSSIERE, hématologie – Emmanuel MORELON, transplantologie – Emmanuelle NICOLAS-VIRELIZIER, hématologie –Palmina PETRUZZO, transplantologie – Laurence SENGIA, coordination clinique – Christophe SEULIN, psychiatrie – Angela SIRIGU, neuroscience
D’autres experts sont intervenus
Pour les Cliniques Universitaires Saint-Luc de BRUXELLES , le Pr. Benoit LENGELE, chirurgien
Pour le CHU de Montpellier, le Dr. Jacques YACHOUH, chirurgien
Le déroulement de l’intervention
Prélèvements auprès du donneur
Dans des conditions d’anesthésie générale, des cellules de moelle osseuse au niveau du bassin du donneur ont d’abord été prélevées (équipe d’hématologie de Lyon), de manière à prévoir des infusions ultérieures de cellules souches de moelle, après conditionnement à l’Hôpital Edouard Herriot de Lyon. Après trachéotomie, l’opération a consisté à délimiter les zones faciales à prélever. La dissection a été effectuée de manière chirurgicale, de façon à emporter, en plus du revêtement cutané, des structures musculaires, osseuses, muqueuses, vasculaires et nerveuses nécessaires à la restitution de la motricité et de la sensibilité. C’est ainsi qu’ont été disséquées les branches vasculaires faciales (artères et veines), les branches nerveuses sensitives (V2 et V3), enfin les branches motrices, branches distales du nerf facial.
Pour préserver l’aspect physique du donneur et pour respecter sa dignité, la restitution de son visage a été réalisée par les prothésistes maxillofaciaux, grâce à un moulage réalisé avant le prélèvement de manière à restaurer la zone prélevée à l’identique. Forme, couleur et consistance des tissus ont été ainsi respectées grâce à l’usage de techniques d’apposition de silicone coloré. Ce premier prélèvement n’a en rien remis en cause, chez ce donneur multi-organes, le prélèvement des autres organes vitaux initialement prévu pour d’autres transplantations.
Une intervention de 19 heures !
L’intervention s’est déroulée sous anesthésie générale le vendredi 27 novembre, elle a duré 19 heures. Dans un premier temps, l’intervention a consisté à préparer les berges de la perte de substance, disséquer minutieusement les différents plans constitués par les muscles et les nerfs faciaux, par les fragments osseux mandibulaires avec les nerfs sensitifs, repérer les vaisseaux, et ceci avant l’arrivée du transplant. Ainsi, dès l’arrivée du greffon, la fixation osseuse première a été réalisée et la circulation sanguine a pu être rétablie en suturant, sous microscope, artère et veine faciales du patient à celles du transplant, et ce à gauche et à droite. Ainsi revascularisé, le greffon a repris vitalité et aspect normal. Puis, la fixation osseuse achevée, chacun des éléments musculaires et nerveux repéré a été soigneusement suturé avec son homologue sur le patient. Enfin, le plan muqueux et musculaire a été reconstitué, recréant l’étanchéité de la cavité buccale. C’est tout à la fin que les tissus dermiques ont été reconstitués depuis le cou jusqu’à la base du nez en adaptant la forme en fonction des contraintes esthétiques.
Tous ces gestes chirurgicaux ont été réalisés par l’équipe de chirurgie maxillofaciale du CHU d’Amiens, le Pr Lengelé de l’UCL de Bruxelles et le Dr Yachouh du CHU de Montpellier.
Les différentes phases de l’intervention (Dr Taha – Amiens)
Visage du patient avant l’intervention
Les tissus composites greffés (peau, tissus musculaires, os, vaisseaux, nerfs)
Simulation informatique de la reconstruction
Période post-opératoire
Associer une greffe de moelle osseuse pour limiter le rejet
Outre le défi chirurgical, la difficulté majeure de la greffe d’organe ou de la greffe de tissus composites (mains, face) est de préserver le greffon des mécanismes de rejet induits par le système immunitaire du receveur. Ces mécanismes de rejet peuvent en effet persister malgré un traitement immunosuppresseur au long cours.
Tout l’enjeu consiste à induire la tolérance, à favoriser l’acceptation du greffon par le système immunitaire du receveur. Pour cela, il s’agit de faire cohabiter, chez le patient, des cellules de l’immunité du receveur et du donneur, alors même que les marqueurs HLA (spécifiques à chaque individu) sont différents entre donneur et receveur. Cette cohabitation de deux populations cellulaires HLA différentes se nomme le chimérisme médullaire.
Le chimérisme médullaire peut être induit en perfusant au patient des cellules issues de la moelle osseuse du donneur (cellules souches hématopoïétiques médullaires ou CSHM), prélevées avant le greffon de la face.
Protocole
Des cellules souches hématopoïétiques médullaires du donneur ont été perfusées (perfusion intraveineuse) au patient à J+4 de la greffe, comme cela avait été le cas lors de la première greffe de visage. Cela avait alors permis d’obtenir un chimérisme transitoire à J+60 de la greffe. Cette cohabitation, même de courte durée, a peut-être permis une meilleure acceptation du greffon.
Cette fois-ci les équipes, souhaitant obtenir un chimérisme plus conséquent et persistant, ont perfectionné le protocole initial. La greffe de CSHM a été plus riche en cellules et une deuxième injection de CSHM peut être envisagée. En outre, des prélèvements de moelle ont été réalisés à J+4, J+11 et J+18 pour surveiller le chimérisme (prélèvement sous anesthésie locale dans l’os illiaque). Cette injection au coeur de l’os favorise le « homing », c’est-à-dire l’installation des CSHM dans un environnement favorable à leur prolifération et à leur maturation.
Ces techniques innovantes sont associées à une immunosuppression puissante pendant les premiers jours associant Thymoglobulines, Tacrolimus, Prednisone. Le patient hospitalisé à Lyon à J+3 y séjournera jusqu’à ce que son traitement immunosuppresseur soit équilibré et que tout risque de rejet aigu précoce soit écarté.
Rééducation
Le patient a bénéficié non seulement d’une évaluation motrice et sensitive pré-opératoire mais également d’une rééducation des fonctions motrices restantes afin de lutter contre l’atrophie musculaire et la rétraction cicatricielle.
Le programme sera poursuivi en post-opératoire selon le même protocole en fonction de l’évolution, pour lui permettre au plus vite de retrouver la fonction masticatrice, phonatoire et de la mimique.
Suivi en IRM Fonctionnelle
Une évaluation fonctionnelle objective par IRM, débutée en pré-opératoire, sera poursuivie en post-opératoire dans quelques mois selon le protocole établi par l’équipe d’Angela SIRIGU du Laboratoire des Sciences cognitives du CNRS de Lyon.
Suivi psychologique
Surmontant le traumatisme grave que constitue la perte de son visage, le patient s’est dirigé sereinement vers l’intervention.
Il a toujours voulu maintenir, au prix de gros efforts, une vie sociale. Il sortait donc avec un masque, bravant le regard des gens.
Depuis la greffe, l’acceptation de son nouveau visage apparaît évidente.
Les aspects éthiques, médicaux et psychologiques
Comme lors de la première allogreffe partielle de la face (nez-lèvres-menton) en 2005, l’Agence de la biomédecine s’est assurée que toutes les expertises médicales, éthiques et psychologiques ont bien été menées dans un souci constant de respect du donneur et de ses proches, et de suivi du receveur.
L’allogreffe de la face (lèvres-menton-mandibule) rendue possible après l’expertise de plusieurs instances.
L’Agence de la biomédecine a été saisie en avril 2009 d’une demande formulée par l’équipe chirurgicale du CHU d’Amiens et l’équipe de chirurgie de la transplantation du CHU de Lyon visant à réaliser une allogreffe partielle de la face (lèvres-menton-mandibule) pour un patient de 26 ans, dont le bas du visage avait été arraché lors d’une explosion. En plus d’un important préjudice esthétique, cette lésion était surtout responsable, d’une part, d’une incontinence buccale rendant impossible une alimentation orale naturelle et, d’autre part, d’un trouble majeur de l’élocution.
Assimilées à des greffes d’organes, les greffes de tissus composites relèvent de l’Agence de la biomédecine qui doit réguler ce type de prélèvement et attribuer le greffon. Cette demande déposée par les équipes d’Amiens et de Lyon s’inscrivait dans le cadre du PHRC attribué à l’équipe et avait fait l’objet d’un dépôt à l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.
L’Agence de la biomédecine s’est assurée que le prélèvement partiel de tissus de la face n’empêchait pas le prélèvement multi-organes.
Les équipes chirurgicales ont été particulièrement attentives à proposer un protocole n’empêchant en rien le déroulement normal d’un prélèvement multi-organes. En effet, un greffon est un bien précieux que l’on ne peut accepter de perdre car sa perte peut entraîner le décès d’un receveur. Actuellement, malgré la progression régulière de l’activité de prélèvement et de greffe en France, la situation de pénurie d’organes persiste. L’ensemble des équipes médicales sont mobilisées continuellement pour permettre à toujours plus de patients d’accéder au bénéfice de la greffe.
L’Agence de la biomédecine s’est assurée de l’existence d’un dispositif satisfaisant de reconstruction faciale du donneur.
L’Agence de la biomédecine a veillé à ce que le dispositif prévu pour ce prélèvement particulier garantisse le respect du corps du défunt et s’acquitte de l’obligation de restauration du corps telle que l’exige la loi. L’expérience de prothésistes maxillo-faciaux est sollicitée pour fabriquer, pendant la durée du prélèvement, une prothèse faciale reproduisant très exactement le volume des tissus de la face prélevés, par moulage préalable. Le corps du défunt est donc traité avec le respect qui lui est dû.
L’Agence de la biomédecine s’est assurée qu’un suivi psychologique du receveur et des proches du donneur était prévu par les équipes.
Toutes les dispositions ont été prises pour que le patient soit informé très clairement et très complètement de l’intervention chirurgicale, des risques et des contraintes qu’elle engendre, en particulier sur le plan immunologique avec notamment la prise d’un traitement immunosuppresseur à vie. Un suivi psychologique post-opératoire et de longue durée est prévu. Le patient a donné un consentement libre et éclairé pour ce protocole d’allogreffe partielle de la face.
De la même façon, l’Agence s’est assurée qu’un suivi psychologique des proches du donneur pouvait être réalisé si ceux-ci le désiraient. Les proches, s’ils désirent être accompagnés dans leur démarche de deuil, peuvent contacter le médecin coordonnateur ou l’infirmière coordinatrice.
Des équipes médicales volontaires pour le prélèvement partiel de tissus de la face
L’Agence de la biomédecine est responsable de l’encadrement et de la coordination des activités de prélèvement et de greffe. Elle a donc pour tâche de faciliter la réalisation de cette greffe en mobilisant certaines équipes en charge de l’activité de prélèvement.
Toutes les équipes sont particulièrement attentives au soin avec lequel est mené l’entretien avec les proches. Le contexte très difficile de l’annonce de la mort encéphalique, état dans lequel le coeur continue à battre artificiellement alors que la personne est décédée, rend parfois délicate la question du don d’organes. La particularité de l’approche des familles par son caractère empreint d’une forte symbolique liée au « visage » fait appel aux compétences de coordinations hospitalières spécifiquement investies dans cette activité. La compétence et l’expérience des coordinations hospitalières sont pleinement sollicitées car les qualités d’accueil et d’écoute sont essentielles. Les équipes cherchent en effet à accompagner de la meilleure façon possible la souffrance des proches brutalement endeuillés. Cet encadrement psychologique et moral fait l’objet de formations spécifiques organisées par l’Agence.
Afin de rendre possible le prélèvement partiel de tissus de la face et consciente de la singularité de l’entretien à avoir avec les proches, l’Agence de la biomédecine s’est appuyée sur des équipes de prélèvement volontaires pour la recherche de ce type de greffon et fortement motivées par le bénéfice pour le patient.
D’après le dossier de presse transmis par le CHU d’Amiens