Une étude française révèle chez les patients atteints d’une forme grave de Covid-19 présentent une anomalie de certains globules blancs associé à un taux très élevé de calprotectine, une protéine pro-inflammatoire. Ces résultats, publiés dans la revue Cell, ouvrent la voie à de nouveaux tests diagnostiques et à une approche thérapeutique inédite.
L’étude s’est appuyée sur l’analyse d’échantillons sanguins provenant de 158 patients admis aux urgences pour suspicion de Covid-19. Parmi eux, 72 patients ont été testés négatifs par PCR et 86 se sont révélés positifs, en présentant trois degrés de sévérité de la maladie (léger, modéré, sévère).
De multiples analyses des cellules sanguines de ces patients, notamment par cytométrie spectrale en flux, ont révélé des modifications de la production et de la répartition de certaines cellules myéloïdes du système immunitaire chez les patients atteints d’une forme grave de la Covid-19, aboutissant à une immunosuppression. Ces modifications incluent:
– Un nombre élevé de monocytes «classiques» sous exprimant l’antigène HLA-DR, favorisant
l’immuno-suppression
– Une forte diminution des monocytes «non classiques», qui constituent habituellement 10% des
monocytes mais représentent moins de 4% chez les patients sévères
– La libération de cellules myéloïdes correspondant à des polynucléaires neutrophiles immatures aux
propriétés immunosuppressives (myélopoïèse d’urgence). Cette libération pourrait être liée à un taux très élevé de calprotectine, une protéine générée dans un contexte inflammatoire.
Sur la piste des variations de la calprotectine
En effet, l’analyse de multiples protéines du plasma sanguin a révélé un taux très élevé de calprotectine (taux normal multiplié par 100 à 1 000) chez les patients atteints de forme sévère de Covid-19. « Nos résultats suggèrent que la calprotectine pourrait être responsable de l’aggravation de la Covid-19, puisque sa quantité corrèle avec les besoins en oxygène ainsi que les facteurs impliqués dans la thrombose, souligne Aymeric Silvin, chercheur en immunologie, spécialiste des cellules myéloïdes, au sein de l’Unité 1015 Gustave Roussy / Inserm / Université Paris-Saclay qui a dirigé ces travaux. La forte augmentation de calprotectine dans le sang pourrait intervenir avant l’orage cytokinique associé à l’emballement inflammatoire des patients développant une forme sévère. Nous pensons qu’une boucle d’amplification se crée entre la calprotectine et l’interleukine-6, induisant une inflammation chronique aboutissant à une immuno-suppression».
Ces recherches ont été réalisées en collaboration étroite avec le Pr Michaela Fontenay, cheffe du service d’hématologie biologique de l’hôpital Cochin, APHP, et directrice d’équipe à l’Institut Cochin dans l’Unité 1016 Inserm/CNRS /Université de Paris, le PrEric Solary, de l’Unité 1287 Gustave Roussy Inserm/Université Paris-Saclay, le Dr Florent Ginhoux, éminent chercheur du Singapore Immunology Network (SIgN) et plusieurs autres équipes étrangères (Singapour, Chine, Israël).
Vers un diagnostic précoce de formes graves de COVID-19
Le Pr Michaela Fontenay précise qu’«un diagnostic précoce d’une forme grave peut être réalisé par la combinaison d’un dosage de calprotectine et d’un test de routine de cytométrie en flux implantable dans les laboratoires d’hématologie. Un test de routine équivalent a déjà été déployé en France dans le but de faciliter le diagnostic d’une maladie hématologique».
Ces résultats inédits, publiés dans la prestigieuse revue Cell, permettent permettent de proposer un test diagnostique susceptible d’identifier rapidement les patients risquant de développer une forme sévère de la maladie et d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques pour contrer l’aggravation de la Covid-19, en bloquant par exemple les récepteurs de la calprotectine et la myélopoïèse d’urgence. Ces stratégies sont à évaluer par des essais cliniques. Des discussions ont démarré pour repositionner un médicament anticancéreux dans cette indication.
Les conclusions de l’étude indiquent aussi que les taux de calprotectine et de monocytes non classiques dans le sang constituent des marqueurs susceptibles d’identifier les patients qui vont développer une forme grave de Covid-19. L’analyse de ces biomarqueurs pourrait être effectuée en routine. «Le diagnostic précoce d’une forme grave de la Covid-19 peut être réalisé sur un tube de sang en combinant un dosage de la calprotectine et un test de cytométrie en flux facilement implantable dans les laboratoires d’hématologie de routine, indique le Pr Michaela Fontenay. Un test équivalent a été déployé ces dernières années en France dans le but de faciliter le diagnostic d’une maladie hématologique».
Cette étude a pu être réalisée grâce au soutien financier d’Amazon et de la Fondation Carrefour, des mécènes de Gustave Roussy, et du centre national de médecine de précision PRISM, soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche.
Pour en savoir plus : Elevated calprotectin and abnormal myeloid cell subsets discriminate severe from mild COVID-19
Betty Mamane