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L’hôpital à bout de nerfs, malade d’une gestion trop centralisée

Benoît MOURNET, élève directeur d’hôpital
promotion Georges Canguilhem 2010-2012
            

L’hôpital est une entreprise de service public gérée encore aujourd’hui trop largement comme une administration, trop centralisée et paradoxalement sans ligne hiérarchique claire. Le chef de pôle doit pouvoir disposer des outils lui permettant de piloter et de rendre compte de sa gestion. Outre ses adjoints médicaux et soignants, une équipe de gestion devraient être placée sous son autorité hiérarchique et fonctionnelle et être dirigée par un attaché ou un jeune directeur d’hôpital. Cela implique une évolution des directions fonctionnelles tantôt recentrées sur un plan stratégique tantôt demeurant des fonctions supports. Cela permettra de décloisonner les lignes hiérarchiques entre médecins, soignants et administratifs pour le plus grand bénéfice de la structure et du malade.

Une gestion trop centralisée et paradoxalement sans hiérarchie claire

L’hôpital public français mérite d’être vertement défendu. Cette institution offre en effet à chaque assuré social un accès à une médecine de grande qualité à un prix très raisonnable pour le malade. Cela fait sa force et doit demeurer son atout face à de nombreuses cliniques privées dont certains praticiens en secteur 2 pratiquent aujourd’hui des dépassements d’honoraire n’ayant plus ni tact ni mesure.

L’utilité médicale et soignante de l’hôpital est donc indiscutable, mais il ne suffit pas qu’une institution soit utile pour exister durablement, il faut aussi qu’elle soit présidée par des règles de gestion saines, cohérentes et stables.
 
Force est de constater qu’à cet égard l’hôpital vit une crise majeure par sa difficulté persistante à se réformer, prisonnier des corporatismes et des conservatismes. Le risque existe aujourd’hui de le voir dépassé par une prise en charge médicale privée, souvent plus réactive et moins coûteuse pour le contribuable, mais qui risque de coûter très cher in fine au malade, et singulièrement aux malades les plus modestes pour une qualité inférieure dans de nombreux cas.

Certes les variations hiératiques et imprévisibles des tarifs hospitaliers expliquent une partie importante des déficits des établissements de santé, mais, plus structurellement, le déficit des hôpitaux s’explique d’abord par une organisation des soins et une gestion financière et des ressources humaines de nature exclusivement comptable et sur un mode beaucoup trop centralisé et vertical.

Aucune entreprise ne peut se gérer finement au-delà de 150 personnes.  Au-delà des délégations de gestion sont indispensables. Or l’hôpital fonctionne encore sur un mode de gestion hyper centralisé et paradoxalement sans ligne hiérarchique claire. Pas moins de trois échelles hiérarchiques coexistent en son sein : l’échelle médicale, l’échelle soignante et l’échelle administrative.

Ce cloisonnement excessif créée frustration et corporatisme et se fait d’abord au détriment du malade mais également au détriment de la structure dans son ensemble, des médecins, des soignants et du directeur.

Certes personne n’exerce d’autorité hiérarchique sur un praticien hospitalier mais a contrario celui-ci n’a d’autorité institutionnalisée sur personne, ni ses collaborateurs soignants ni son cadre administratif de pôle. L’absence de cohérence entre une autorité fonctionnelle de fait et une absence d’autorité hiérarchique de droit crée de la confusion et laisse place à la capacité d’influence des plus habiles créant des sentiments malsains de ressentiment chez beaucoup d’autres.

Quant aux soignants, de plus en plus sous pression dans leur quotidien professionnel, ils sont les victimes d’une faute historique, celle d’avoir transformé le rôle d’infirmier surveillant de proximité en cadre de santé coupé des malades et contraint d’assister à sans cesse davantage de réunionites dans lesquelles ils sont caporalisés. Le dénommé malaise des cadres à l’hôpital n’est pas à chercher plus loin. La fierté du cadre de santé est que son service développe une activité importante et que la prise en charge soit de la meilleure qualité et humanité possible.

Enfin cette incohérence des lignes hiérarchiques place le directeur d’hôpital dans une position très inconfortable. Il est contraint d’user de persuasion et d’une énergie de conviction phénoménale pour faire passer des projets et exercer sa mission de garant et de réformateur de l’institution. Les directeurs d’hôpital sont bridés dans leurs marges de manœuvre et souvent contraints de gérer l’immobilisme. La stratégie individuelle de carrière la plus rationnelle devient alors pour eux celle de « ne pas faire de vague » et de « tenir » dans son établissement quelques années en ménageant les médecins, les syndicats et son agence régionale de santé avant de viser la direction d’un établissement plus important et plus prestigieux. L’intérêt de l’institution se trouve dès lors parfois décorrélé de l’intérêt de ses dirigeants.

Ce ne sont pas les hommes qui sont ici en cause, et il convient bien sûr de saluer la bravoure de beaucoup qui par de réels sacrifices personnels font vivre leur communauté. Cependant, aucune institution ne peut tenir longtemps sur la seule bonne volonté de ses membres.

Ce n’est pas non plus le statut de la fonction publique hospitalière qui est dénoncé ici. Je crois au contraire, qu’au-delà de la sécurité qu’il apporte, il permet une certaine souplesse par rapport au contrat à durée indéterminée de droit privé, à condition bien entendu qu’il sache au mieux valoriser la compétence et l’expérience de ses ressources internes et surtout que les corps ne deviennent pas des forteresses imprenables laissant sur le bord du chemin nombre de contractuels de courte durée très précaires. L’exemple de sages-femmes dans certains hôpitaux laissées depuis plus de dix ans en contrats renouvelés tous les deux ans est proprement scandaleux.

Ce qui est en cause est la lenteur ou l’incapacité à décliner des réformes qui existent pourtant bien. Il est temps de comprendre l’intérêt de la réforme des pôles et de la tarification. Tous les outils législatifs et réglementaires existent aujourd’hui pour améliorer le fonctionnement de l’institution hospitalière. Cette réforme de la gouvernance n’est faite au détriment de personne, ni des médecins, ni des soignants ni du personnel administratif, ni des directions fonctionnelles et de la direction des soins, mais il faut pour cela accepter une remise en cohérence des lignes hiérarchiques et faire le pari de la confiance dans les responsables de pôles.

Faire confiance aux pôles et rendre les lignes hiérarchiques plus cohérentes

Le pôle constitue l’unité de production clinique ou médico-technique  de l’hôpital. La cohérence médicale doit d’abord présider à sa constitution. En outre, la bonne taille critique doit être celle d’une clinique moyenne soit environ 100 lits et 300 personnes.
A sa tête, le chef de pôle doit avoir les moyens de réellement piloter sa gestion. Cela signifie de disposer, au plan financier, d’un compte de résultat et d’un tableau de financement prévisionnel ainsi que d’un compte de résultat analytique de l’exercice précédent. De même, au plan des ressources humaines, le chef de pôle est garant de la gestion de sa masse salariale. Il doit pouvoir disposer en conséquence d’un tableau circonstancié des emplois afin de pouvoir établir là aussi une gestion prévisionnelle. En outre, le recrutement, la formation continue et les sanctions disciplinaires des agents doivent à terme pouvoir relever de sa compétence.

Cela implique une réorganisation profonde des directions fonctionnelles, habituées à traiter de façons centralisées tous les sujets de gestion de proximité. La majorité des agents de ces directions pourraient être affectés au pôle sous l’autorité d’un attaché d’administration ou d’un jeune directeur d’hôpital. Tous les personnels affectés dans un pôle, y compris les personnels soignants et administratifs concourrant à sa gestion, devront être naturellement sous l’autorité fonctionnelle et hiérarchique du chef de pôle.  Le chef de pôle, clinicien par ailleurs, doit pouvoir lui-même déléguer sa compétence sur ses collaborateurs adjoints médicaux, administratifs et soignants.

Dans ce contexte, les directions fonctionnelles et la direction des soins ne deviennent pas obsolètes. Moins nombreuses, elles se recentrent sur leurs fonctions stratégiques pour le directeur des affaires financières, le directeur des ressources humaines et le directeur des soins. D’autres directions dont les compétences n’ont pas vocation à être décentralisées restent des directions supports, prestataires de services des pôles en interne. Il s’agit de la direction des travaux, du personnel médical et de la recherche, de la logistique et du système d’information.

Aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins, les directeurs adjoints se pensent comme des chefs d’état major alors qu’ils sont en réalité les responsables des fonctions supports de l’hôpital. Aucune dimension stratégique ne leur est accordée dans ces conditions par les médecins qui les qualifient à juste titre d’ « administration ».

Décentraliser la gestion et aller au bout de la remise en cohérence des lignes hiérarchiques d’un hôpital, comme c’est le cas dans les autres pays européens, implique bien entendu d’accorder la responsabilité ultime de l’établissement au directeur général. Celui-ci doit se situer sur un plan stratégique, en pleine cohérence avec le président de la commission médicale d’établissement. Le président de la commission médicale d’établissement devient alors dans les faits le directeur général adjoint en charge des affaires médicales et l’interlocuteur privilégié de l’ensemble des chefs de pôles.

La mise en place du directoire permet d’aller dans ce sens. Pour que cette réforme soit acceptée par toute la communauté et qu’elle trouve l’adhésion des praticiens hospitaliers notamment, il sera important qu’à terme le directeur général, président du directoire de l’hôpital ne soit pas forcément un directeur d’hôpital, mais aussi pourquoi pas un médecin ayant renoncé à exercer.

Réformer une institution aujourd’hui sclérosée et être exigeant sur la saine gestion des hôpitaux n’est pas renoncer aux valeurs d’équité et de service public. C’est au contraire laisser s’installer durablement l’immobilisme qui serait dangereux pour l’institution dans un contexte de finances publiques très contraint.

L’hôpital est une entreprise de service public gérée aujourd’hui encore largement comme une administration. N’ayons pas peur des mots, il faut savoir prendre le meilleur de ce qu’apporte le mode de gestion d’une entreprise en sachant que chez nous la finalité n’est pas le profit mais le service public rendu au malade.
    

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